• Guirec Soudée, explorateur-navigateur
    À l’école du tour du monde

    Les situations périlleuses, ça le connaît ! À tout juste 31 ans, le navigateur costarmoricain Guirec Soudée a déjà effectué un tour du monde à la voile, deux traversées de l’Atlantique à la rame et une Route du Rhum... avec beaucoup de péripéties à la clé. Aujourd’hui en préparation pour le Vendée Globe, il a accueilli Elisa, Apolline, Roxane et Maëlle, sur son île à Plougrescant.

    Guirec, comment as-tu commencé la voile, puis les expéditions en mer ?
    Guirec J’ai eu la chance de grandir ici*, donc dès tout petit, j’ai passé beaucoup de temps sur l’eau, sur la grève. C’est vite devenu une obsession. Mon rêve a toujours été d’acheter un bateau et de naviguer sur les océans. Un tour du monde, tout le monde rêve de ça, pas vous ? Moi, j’avais cette envie là ! À 18 ans, je suis parti en Australie. J’ai fait plein de petits boulots et à mon retour, à 20 ans, j’ai pu acheter mon premier bateau. Dans ma tête, j’avais envie de partir loin, longtemps, mais c’était encore un peu vague. Au départ, je ne parlais pas vraiment de tour du monde. Je disais plutôt « je pars traverser l’Atlantique et après on verra comment ça se passe ». Je suis parti avec tout ce que j’avais, j’ai tout mis dans le bateau et je suis parti avec toute ma vie. Je me suis laissé porté par les vents, par les envies, par les rencontres. Et ça m’a amené à faire un tour du monde qui a duré 5 ans.

    Peux-tu résumer en quelques mots tes différentes aventures ?
    J’ai commencé par ce tour du monde avec ma poule Monique (lire plus bas), en passant par les deux pôles – pôle nord et pôle sud. Je suis parti à 21 ans et je suis revenu à 26 ! Avec Monique, on a parcouru 45 000 milles**, avec notamment un hivernage de 130 jours au Groënland, piégés dans la banquise. On a aussi fait tout le passage Nord-Ouest, le Pacifique, le Cap Horn, l’Antarctique, l’Afrique... En vrai, c’était plein de petites aventures. À mon retour après 5 ans de mer, j’avais déjà envie de repartir ! J’ai écrit quelques livres – parce que c’est ça qui me fait vivre – et en 2020, j’ai acheté un rameur, avec lequel j’ai traversé deux fois l’Atlantique. Et aujourd’hui, je prépare le Vendée Globe, une course autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. Pour préparer ça, en amont, je participe à des courses, comme la Route du Rhum dernièrement.

    Les médias vous qualifient « d'aventurier des temps modernes ». Qu’en pensez-vous ?
    Hum, j’aimerais bien dire que je suis un aventurier ! Je le suis d’une certaine façon, mais je me vois plutôt comme un petit aventurier quand je me compare à des gens comme Amundsen, Christophe Colomb, Ernest Shackleton***… À l’époque, quand ils partaient, ils ne savaient pas où ils allaient ni même s’ils allaient revenir. Aujourd’hui, malheureusement, presque tout a été découvert. On a des moyens de communication plus développés, on peut avoir des échanges en direct avec la terre, et c’est chouette parce cela nous permet de partager nos aventures avec le plus grand monde. Moi, j’ai de la chance de pouvoir en vivre. Au fur et à mesure que mon aventure s’est médiatisée, j’ai essayé d’utiliser ça de façon intelligente. J’ai commencé à être payé pour des écrire des articles, donner des conférences… La communication, ça fait partie de mon métier.

    Au cours de tes aventures, quels ont été tes moments les plus difficiles en mer ?
    Guirec Sans doute quand j’ai été piégé dans les glaces au Groënland, par – 60°, et que la banquise a explosé, menaçant de détruire mon bateau. Et aussi lors du retournement de mon rameur dans l’Atlantique. Je me suis retrouvé seul, debout sur la coque, en pleine tempête au milieu de nulle part. Dans ces moments-là, tu te demandes vraiment comment ça va finir… Mais c’est aussi ça qui me plaît ! Ce sont des moments de persévérance, de dépassement de soi, où tu n’as pas d’autre choix que de trouver une solution. Ils restent ancrés en toi, et te donnent des choses à raconter. Et puis derrière un moment dur, il y a potentiellement un moment extraordinaire, comme de voir nager un ours polaire à deux mètres de ton bateau. Tout a un prix ! Après, s’il y a un conseil que je peux vous donner, c’est de ne pas avoir peur. Souvent, les gens ont l’habitude de choses plus cadrées. Moi, plus on me dit que ça ne va pas le faire, plus j’ai envie d’y aller ! Ce qui est génial dans l’aventure, c’est que tu te jettes un peu dans le vide, que tu ne sais pas ce qui va t’arriver (d’ailleurs, si tu savais, tu ne partirais sans doute jamais !). C’est un peu comme une drogue. Il y a plusieurs façons de vivre. Moi je préfère vivre à fond, même si ça dure un peu moins longtemps.

    Tes périples t’ont-ils rendu plus sensible à l’écologie ?
    Forcément parce qu’en mer, tu es au cœur du problème. Dans l’Atlantique, j’ai croisé des déchets plastiques tous les jours : des sacs plastiques, des ballons baudruche, du matériel de pêche. Au Groënland, j’ai constaté moi-même la fonte des glaces, en naviguant là où il était censé y avoir un glacier ! J’ai contourné un morceau de banquise gros comme deux fois Paris qui venait de se détacher et qui dérivait.
    Pendant mes aventures, j’ai essayé de me rendre utile, par exemple en faisant des prélèvements de plancton ou des relevés de température et d’humidité pour les scientifiques. Après, je suis juste un observateur, je ne donne pas de leçons. Je raconte ce que je vois et j’essaye d’apporter ma pierre à l’édifice. Par exemple, ici sur mon île, je produis ma propre énergie, grâce à une éolienne et des panneaux solaires.

    Tu prépares actuellement le Vendée Globe. Comment ça se présente ?
    Guirec Ça se passe très bien ! Aucun jour ne se ressemble. Pour se qualifier, il faut faire un maximum de compétitions pour gagner des points. C’est pour ça que j’ai fait la Route du Rhum dernièrement. C’est bien de pouvoir tester son bateau très tôt parce que malheureusement, c’est un sport mécanique et on sait qu’il peut y avoir de la casse. Comme l’objectif, c’est d’aller vite, tu vas avoir tendance à le pousser au maximum. Donc il faut s’entraîner pour trouver le juste milieu : pousser ton bateau, mais pas trop pour ne pas le casser. En parallèle des compétitions, je dois aussi suivre la préparation technique du bateau, aller récupérer du matériel, travailler la stratégie météo... Un projet comme ça, ça ne s’improvise pas ! Et puis il y a aussi la recherche de partenaires, de financements, les médias, des bouquins, une série documentaire qui sort avec Canal +. Je ne m’ennuie pas !

    Que dirais-tu à un ado qui a du mal à trouver la motivation à l’école ?
    Qu’il faut s’accrocher et travailler dur ! Il y a plusieurs façons de réussir. Moi, à l’école, je m’ennuyais un peu car je suis quelqu’un de manuel et j’aime le grand air. J’ai changé 13 fois d’école ! L’école, c’est hyper important mais tout le monde n’est pas fait pour ça. Moi j’ai continué jusqu’à 18 ans mais quand j’ai arrêté les études, ce n’était pas pour ne rien faire. J’avais un objectif, je savais dans quelle direction j’allais, et j’ai dû travailler pour y arriver. L’« école du tour du monde » m’a appris plein de choses. À côté de ça, dans la course au large, je travaille aujourd’hui avec des ingénieurs qui ont fait de grandes études. Chacun sa voie. Le plus important, c’est d’être heureux quand on se lève le matin.

    * sur l’île d’Yvinec, au large de Plougrescant.
    ** environ 85 000 kilomètres.
    *** Roald Amundsen (1872 - 1928) : marin et explorateur polaire norvégien, le premier à franchir le passage du Nord-Ouest, qui relie les océans Atlantique et Pacifique, dans le grand Nord canadien – Christophe Colomb (1451 – 1506) : navigateur espagnol (d’origine génoise), célèbre pour avoir « découvert l’Amérique », même si cette formule n’est pas tout-à-fait exacte ; Ernest Shackleton (1974 – 1922) : explorateur britannique, figure de l’exploration en Antarctique.

    RIP Monique !
    Comment interviewer Guirec Soudée sans évoquer sa poule Monique ? La célèbre gallinacée, très médiatisée, a accompagné le jeune navigateur durant son premier tour du monde, lui apportant une joyeuse compagnie et de bons œufs frais. Lorsque nous avons rencontré Guirec, il l’évoquait encore avec affection, sans savoir que quelques jours plus tard, sa poule allait nous quitter, à l’âge honorable de 9 ans. Voici comment il nous en parlait.

    « J’ai pris Monique sur mon bateau pour ne pas être tout seul, mais aussi pour avoir des œufs ! Car c’est ça, le vrai problème quand tu pars en mer pendant longtemps : c’est la nourriture fraîche. Y’a pas de supermarché au milieu de l’océan ! Monique, j’y suis hyper attaché ! Elle m’a apporté beaucoup. Après, c’est vrai que sur le bateau, il y avait aussi quelques inconvénients : quand elle fait ses besoins dans le bateau, sur ton ordi ou sur ta feuille, t’en as un peu marre ! Ce qui a été compliqué aussi, c’est d’arriver dans des pays qui ne veulent pas accueillir d’animaux par peur des maladies, comme la grippe aviaire. Malgré tout, j’aime beaucoup Monique et je ne regrette rien de ce qui j’ai pu vivre avec elle sur notre voilier !"

    Lire aussi le message d’adieu de Guirec à Monique sur Instagram