La vie paysanne sous l'Ancien Régime
Comment vivait-on sous l’Ancien Régime dans nos contrées, et plus particulièrement dans la seigneurie de Corlay ? L’ouvrage de Jean Le Tallec, intitulé La vie paysanne en Bretagne centrale sous l’Ancien Régime*, nous fournit une mine d’informations passionnantes sur ce sujet. Petit tour d’horizon de la vie quotidienne de nos ancêtres paysans, où il sera notamment question de fête, de bouillies d’avoine, de violence, de déjections... et de crêpes bien entendu.
Nous sommes en l’an 1679, dans la seigneurie de Corlay. Sur ces terres qui appartiennent au seigneur, les habitants, lesquels ne parlent alors que le Breton, sont encore tous des vassaux et doivent donc s’acquitter de nombreux droits seigneuriaux. Pour autant, les maisons, de même que les bâtiments agricoles, appartenaient bien aux hommes qui les avaient construites. En cette année 1679, 44 maisons se dressent de part et d’autre du pays de Corlay. 44 seulement ? Probablement bien davantage, mais c’est l’inventaire, consigné dans la collection du fonds de notaire des Archives départementales, sur lequel s’est appuyé Jean Le Tallec pour son étude. Un inventaire très riche, qui nous enseigne que ces longères, résistantes et robustes, étaient construites quasiment toutes sur le même modèle. Construites en pierre de taille, à la toiture d’ardoise le plus souvent ou plus rarement en genêt, elles se composaient d’une pièce à vivre sur la partie gauche, la partie droite étant réservée aux chambres. Entre ces deux parties, près de la moitié des maisons comprenait une tourelle, appelée vir à demi-rond, renfermant un escalier en colimaçon.
Cahutes misérables et longères robustes
Nulle trace de l’existence de latrines ou d’arrivée d’eau : il faudra attendre quelques décennies pour que l’hygiène s’invite dans les maisons, dans lesquelles « les paysans dormaient souvent dans la promiscuité des couchages, sur des paillasses souillées de déjections », rapporte Jean Le Tallec.
Si seulement près d’un tiers des habitations comprenaient une étable pour accueillir le bétail, en revanche toutes comptaient plusieurs animaux, que ce soit des cochons ou des poulets... qui vivaient le plus naturellement leur vie de la cour jusqu’à l’intérieur des maisons. Les cours de la ferme, parlons-en. Disposant le plus souvent d’un puits, elles abritaient le fumier des déjections animales, mais étaient aussi de « gigantesques usines de fermentation, où l’on faisait mariner consciencieusement diverses végétations, fougères, ajonc, paille... » dans le but de produire de l’engrais. Un engrais qui valait son pesant d’or, comme en témoigne l’auteur, qui raconte que le fumier de son ancêtre Mathurin Le Tallec, lors de son décès en 1722, avait été vendu au prix de 120 livres, soit la valeur de cinq vaches !
Au côté de ce bâti de qualité, qui nous laisse penser que le pays de Corlay possédait un habitat rural qui était loin d’être misérable, co-existait certainement un autre type d’habitat, mais de bien moins bonne facture. Des voyageurs, comme Villermé et Benoiston ont ainsi pu rapporter avoir croisé des « chaumières délabrées dont le toit s’abaisse jusqu’à la terre », « où le jour ne pénètre que par la porte », tandis que dans un coin « rumine sur un peu de fumier la vache maigre et chétive ».
« De gigantesques usines de fermentation »
Après les odeurs de fumier et de déjections, quittons cet air fétide pour plonger dans la plus délicieuses des odeurs bretonnes... L’odeur des crêpes, vous l’aurez compris. Car en bons Centre-Bretons qui se respectent, absolument toutes les maisons étaient équipées d’une galettière, comme nous l’apprennent les inventaires parus entre 1620 et 1789. Il faut dire que la matière première se trouvait à portée de main : les œufs des poules qu’il suffisait de ramasser dans la cuisine ou dans la cour, le lait des vaches de son étable ou de celle d’à côté, et la farine de blé noir, cette céréale étant l’une des principales culture de cette époque, aux côtés de l’avoine et du seigle. Mais vous pourrez l’imaginer, nos paysans ne se nourrissaient tout de même pas que de crêpes. Le plus souvent, les repas se composaient de bouillie d’avoine le midi, et de soupe au chou, au lard ou aux oignons avec du pain le soir. La viande fraîche restait un aliment de luxe, on lui préférait la viande conservée salée ou fumée. Le pain constituait l’aliment le plus fondamental. « L’abondance des boulangers est impressionnante, abonde Jean Le Tallec. Ils sont présents non seulement dans chaque bourg, mais aussi dans de nombreux hameaux ». A ces nombreux boulangers s’ajoutaient les fours villageois, qui réunissaient les habitants le jour hebdomadaire de cuisson.
Vaches, cochons et travail de la toile
Le labeur quotidien, en quoi consistait-il ? Dans ces contrées corlaisiennes, « nous avons bien affaire à une population typique de petits paysans traditionnels », affirme notre auteur. Il faut dire que ces activités réclamaient une attention quotidienne. Irrigation, labourage, défrichement : le travail de la terre nécessitait en effet une main d’œuvre nombreuse. « Toutes les bonnes volontés du voisinage y étaient conviées : non seulement des hommes, mais aussi des femmes pour s’occuper de l’intendance ». Les moissons et récoltes occupent également une large place dans le quotidien des habitants, entre fauchage des blés, séchage, battage et stockage. L’élevage des bêtes complète les journées bien chargées des paysans, avec le soin prodigué aux vaches, aux cochons et aux chevaux. En moyenne, les exploitations comptaient cinq vaches laitières, les pièces maîtresses du cheptel régional, et les fermes plus importantes une trentaine de têtes.
Les moutons étaient par contre extrêmement rares. Seuls « les riches personnages, marchands ou hommes de loi » en possédaient, pour l’usage exclusif de la laine, confié aux paysans. À côté de l’agriculture, impossible de faire l’impasse sur la manufacture des toiles, activité florissante en Bretagne. Le but premier, satisfaire les besoins de la population locale en vêtements, literie, sacs de transport et autres cordages. Un labeur besogneux, réservé aux femmes, et réalisé en plusieurs étapes : il fallait d’abord préparer les fibres de chanvre, cultivé partout sur le territoire de Corlay, ou plus rarement en lin, importé du Trégor, puis les filer à la quenouille ou au rouet, avant de passer à l’ultime étape, le tissage.
Sens de l’hospitalité et de la fête
La maison, l’alimentation, le travail... Et les loisirs dans tout cela ? Quelles étaient les préoccupations majeures et les traits psychologiques dominants de nos ancêtres paysans ? En premier lieu, « Tous les voyageurs d’autrefois ont été frappés par le sens de l’hospitalité qui se manifestait partout dans nos campagnes », relate Jean Le Tallec. Une hospitalité qui s’accompagnait toutefois d’une violence qui « n’était jamais très loin. Dans les archives judiciaires, la violence règne partout. Il semble que le climat de brutalité empeste toute la société, et se manifeste jusque dans les plus futiles affaires de voisinage ». Dès 1636, Dubuisson-Aubenay avait présenté les Bretons comme des gens « qui ne peuvent se passer de boire ! », poursuit l’auteur. Dans les foires, les auberges, lors des enterrements ou des pardons : tout est prétexte à s’alcooliser. « Les jours de fête, dans les noces, … les vins de toute espèce, l’eau-de-vie, quelque chère qu’elle soit, sont prodigués ; on s’égaie, on s’enivre surtout, au son du biniou, des tambourins et des bombardes. On chante des chansons fort gaies, sur des airs pleins de vivacité », relate un certain Cambris dans l’ouvrage.
Notons que la danse était une activité très prisée lors des fêtes, mais également dans la vie quotidienne des habitants, qui se regroupaient par exemple fréquemment en fin d’après-midi sous la halle de Corlay, ou encore après les grandes journées de travail collectif. Les veillées constituaient probablement l’un des temps forts de la vie paysanne, de même que le jeu, tel que les cartes, le jeu de la crosse, la soule (présentée comme l’ancêtre du rugby) ou encore la lutte bretonne, qui attirait toujours une foule compacte. L’occasion rêvée pour donner des coups et fêter la victoire avec « la dive bouteille »...