Société

Les auteurs de violence conjugale : tous des malades ?

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Le mythe est tenace : on s’imagine volontiers que les auteurs de violences conjugales sont des dégénérés, des alcooliques, des monstres, qu’on préférerait éviter de croiser. Sortons de notre zone de confort : la réalité est toute autre. Et la responsabilité collective.

  • En France, 220 000 femmes déclarent chaque année subir des violences1. 220 000 femmes, autant d’hommes violents, résume le journaliste Mathieu Palain. Pendant quatre ans, il a plongé dans la tête des hommes violents, pour les besoins de son enquête, qui a abouti à un podcast, en écoute sur Radio France, et à un essai, sorti en janvier 2023. « Ces 220 000 mecs violents, ce ne sont pas 220 000 monstres. Non, dans ces 220 000 monstres, il y a votre père, votre oncle, votre frère, votre meilleur ami, votre voisin… Pas des monstres. Des mecs normaux. Et c’est bien là le problème. »2

    Un problème d’autant plus vicieux que la violence conjugale s’inscrit « dans des normes et dans la banalité, explique le sociologue Pierre-Guillaume Prigent. Les hommes ont un pouvoir que l’organisation sociale actuelle leur donne, mais certains en abusent, parce qu’ils se disent qu’ils peuvent en abuser. La société est tolérante par rapport à ce type de comportement.3 »

    Dans la très grande majorité des cas de meurtre sur conjoint, on ne relève pas de psychopathologie avérée. Ce qui confirme que l’explication des comportements abusifs et des passages à l’acte se trouve ailleurs que dans la maladie.

  • 80 % des agresseurs nient les faits

    « Je voulais pas la frapper mais elle m’a poussé à bout », « Elle m’empêchait de voir mes potes et j’en pouvais plus »… Quand on écoute les témoignages du groupe de parole que Mathieu Palain a suivi, tous les auteurs de violence semblent d’accord pour dire que leur femme est une menteuse et qu’ils n’ont rien à faire là. Pourtant, rappelle Pierre-Guillaume Prigent, « dans la violence, il y a cet objectif de maintenir la femme sous contrôle pour qu’elle lui apporte des satisfactions matérielles et sexuelles, mais l’agresseur va prétendre qu’il ne s’agit pas de cela.3 »

    Le chiffre est éloquent : au moins 80 %4 des hommes condamnés pour violences conjugales nient les faits qui leur sont reprochés. « Souvent, ils nous soutiennent qu’ils n’ont rien fait, parce qu’ils pensent que ce qu’ils ont fait ne correspondait pas à de la violence. Pour eux, ce qu’ils avaient commis, c’était quelque chose de naturel », peut-on entendre dans le documentaire « Combattre leur violence », visible en ligne jusque fin mars.

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  • « Pour la plupart, ce sont des immatures »

    Ces hommes violents, qui sont-ils ? La psychiatre Liliane Daligand, qui a expertisé plus de 700 hommes auteurs de violences, dresse un constat sans appel : « Le profil de ces hommes pour la plupart, ce sont des immatures. On est souvent dans un rapport incestueux. Il n’y a que la nourriture de maman qui est bonne, le café de maman c’est le meilleur, ce que tu fais toi c’est dégueulasse. Les femmes peuvent être insultées et frappées, mais pas maman. Le plus souvent, ils ont de grosses difficultés d’identification au père, pour qui ils ne sont jamais à la hauteur. »2

    Florence Torrollion, psychothérapeute, ne dit pas le contraire : « Ce sont des petits garçons qui font leur caprice, qui ne supportent pas la frustration, qui sont coincés dans leur époque de petits garçons et d’adolescents. » Odile Nesta-Enzinger, psychologue clinicienne, qui elle aussi a suivi des centaines d’hommes auteurs de violences conjugales au sein de l’association Passible, est formelle : « Tous, sans exception, nous ramènent des traumatismes infantiles »2.

    « La plupart ont subi des violences graves, sexuelles ou non, l’abandon d’au moins un des parents, une majorité a vu son père frapper sa mère. La genèse de la violence est là. Le plus important reste donc d’agir dès l’enfance »5 analyse Emmanuelle Piet, médecin de PMI (Protection maternelle et infantile) et présidente du Collectif féministe contre le viol.

  • La fabrique de l’homme viril

    Agir dès l’enfance veut dire en premier lieu déconstruire les stéréotypes sur la masculinité, pour modifier les représentations, et ainsi parvenir à casser ce rapport de domination qui sévit dans les couples. Car comme le souligne le Dr Gérard Lopez, psychiatre expert près de la cour d’appel de Paris : « S’il y a des facteurs psychologiques qui interviennent, l’essentiel de la violence masculine se situe dans la construction de la masculinité : le virilisme, pour ne pas dire le sexisme.6  »

    Il a fallu du temps pour que Mathieu Palain prenne la mesure de la nocivité de ces stéréotypes : « Pour moi, devenir un homme, ça signifiait embrasser les caractéristiques du héros masculin de l’époque, à savoir Bruce Willis : un type musclé, fort, macho, séducteur, capable de tuer pour venger sa meuf, qui ne pleure jamais et ne connaît pas la peur. Ne sous-estimons pas la puissance de ce modèle. Je l’ai adopté avec joie, me coulant dans le moule du mieux que j’ai pu. J’étais d’accord pour suivre l’exemple, pour emprunter avec la foule ce que j’estimais être la voie royale pour devenir un homme. Mais cette éducation pose problème. »2

    Cette construction virile, Mathieu Palain en a fait les frais. Un jour, il a embrassé de force une fille, qui ne voulait pas de lui. « Embrasser une femme de force, ou lui mettre une main au cul… ça s’appelle une agression sexuelle, reconnaît-il à présent. C’est passible de cinq ans de prison et 75 000€ d’amende. Au fond, ce n’est qu’une question de possession. J’estimais que cette fille-là, elle était à moi. »2

  • 1 IFROP
    2Nos pères, nos frères, nos amis, de Mathieu Palain, éd. Les Arènes, 2023
    3Violences conjugales, la banalité du mâle, podcast Les couilles sur la table, décembre 2022
    4Combattre la violence, documentaire réalisé en 2022 par Mélissa Theuriau
    5 cfcv.asso.fr
    6Quelle prise en charge pour les auteurs de violences conjugales ? | Cairn.info