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Post-partum : prévenir les risques de suicide

Virginie Jacob-Alby, enseignante-chercheure habilitée à diriger des recherches, et directrice de la clinique universitaire mobile à l’UCO de Guingamp. Photo : Stéphanie Prémel
Virginie Jacob-Alby, enseignante-chercheure habilitée à diriger des recherches, et directrice de la clinique universitaire mobile à l’UCO de Guingamp. Photo : Stéphanie Prémel

Dans le département, les chiffres sont alarmants en termes de passage à l’acte suicidaire chez les jeunes mères. Or, 90 % de ces suicides pourraient être évités avec une meilleure prise en charge. Pour Virginie Jacob-Alby, enseignante-chercheure à l’UCO de Guingamp, il y a urgence à accepter l’idée que la période périnatale est une période à risque. C’est notamment pour cette raison qu’a été créée la clinique universitaire mobile. Entretien.

On parle souvent de baby-blues, moins de dépression du post-partum. Quelle est la différence ?
Le baby-blues est transitoire et n’a rien à voir avec la dépression qui s’étend des deux mois après la naissance jusqu’aux trois ans de l’enfant, et qui va impliquer un panel clinique beaucoup plus grave : manque d’estime de soi, troubles du sommeil et de l’appétit, forte anxiété, angoisses de mort, phobies d’impulsion vis-à-vis du bébé ou une peur de lui faire du mal.  

Toutes les jeunes mères peuvent-elles y être confrontées ?
On est encore dans une injonction au bonheur faite à la jeune mère, dans le refus d’accepter qu’elle puisse aller mal alors qu’elle vient de mettre au monde un bébé. Or, on oublie le remaniement psychique. Donc oui, toutes les jeunes mamans peuvent y être confrontées, même s’il existe des facteurs de vulnérabilité.

" Toutes les jeunes mamans peuvent être confrontées à la dépression du post-partum "

Qu’est-ce qui favorise le risque de dépression ?
La dépression du post-partum est liée à un ensemble de facteurs de vulnérabilités qui vont s’accumuler. Citons d’abord des facteurs endogènes, liés au psychisme de la mère, à son histoire familiale. Pendant la période périnatale, la future mère va en effet retraverser toute sa construction psychique et toutes ses identités, en même temps qu’elle va questionner sa future identité de mère en identification à sa propre mère. Si cette dernière a été violente ou défaillante par exemple, cela peut entraîner une impossibilité à s’identifier en tant que maman. Et puis on a des facteurs de vulnérabilité exogènes, qui nous concernent beaucoup en Côtes d’Armor, qui sont la précarité, l’isolement, les violences conjugales.

Qu’est-ce qui peut conduire au passage à l’acte suicidaire ? 
Si le risque est repéré et que la maman est prise en charge, on pourra l’éviter dans 90 % des cas. En revanche si la dépression n’est pas repérée, donc pas soignée, il y a un très fort risque de passage à l’acte, à court, moyen ou très long terme. C’est donc un enjeu majeur de santé publique.

" On n’accepte pas bien l’idée qu’une maman qui a tout pour être heureuse avec son bébé puisse aller mal "

Comment se soigne la dépression ?
La dépression du post-partum se soigne très bien... encore faut-il que les mamans et leur famille acceptent l’idée d’une dépression, car on n’accepte pas bien l’idée qu’une maman qui a tout pour être heureuse avec son bébé puisse aller mal. Or c’est normal. Il y a donc un gros travail  d’information et de dédramatisation à mener, pour faire accepter l’idée d’une dépression périnatale, d’un diagnostic et de la mise en soin, qui passe par un traitement d’antidépresseurs allié à un travail de psychothérapie.

Le suicide est devenu chez les jeunes mamans la première cause de mortalité. Pour quelle raison ?
Parce qu’on a réussi à progresser sur les autres morts, liées aux causes biologiques et obstétricales, mais pas sur celle-ci. Malheureusement, le lien entre le suicide et la dépression du post-partum n’est pas du tout une évidence actuellement.

" On a très peu de praticiens et praticiennes formés à la dépression du post-partum "

Pourquoi la dépression du post-partum est-elle si peu diagnostiquée ?
On a très peu de praticiens et praticiennes formés à la dépression du post-partum. Souvent, même les obstétriciens et obstétriciennes ne se sentent pas concernés, préférant rester concentrés sur le suivi physiologique. Pourtant ce serait nos meilleurs interlocuteurs pour dépister, d’autant que dans le cadre du suivi post-accouchement, ils sont amenés à consulter les mamans entre six à huit semaines après l’accouchement, soit le délai lors duquel se caractérise la dépression. Même les médecins généralistes, malgré un état de grande fatigue dont peut faire part la maman, ne diagnostiquent pas souvent une dépression.

Les pères peuvent-ils également être touchés par la dépression du post-partum ?
La dépression du post-partum est encore plus forte chez les pères. La mère, elle, a la chance d’avoir un vécu corporel, biologique et physiologique, qui va l’emmener à tisser un lien affectif avec le corps de l’enfant, au contraire du père. Pour lui, tout va donc se jouer sur le plan de l’identification à des idéaux paternels. Et quand il n’y en a pas, il y a un risque de dépression. Le père s’institue en tant que père grâce à la mère. Résultat : si 8 % des papas sont à risque de dépression post-partum, on passe à 50 % quand la mère est en dépression. On n’a aucun chiffre dans le monde sur le suicide paternel post-partum. Cela va faire partie des travaux qu’on doit mener.

" La parole se dénoue enfin... mais entre femmes informées "

Les Côtes d’Armor sont le département le plus touché par le passage à l’acte suicidaire chez les jeunes mamans. Dispose t-on d’explications ?
Notre département est l’un des plus touchés par le suicide, toutes générations confondues, depuis des dizaines d’années. Cette transmission générationnelle du suicide est donc un facteur de risque pour nos futures mamans. Il fait partie des idéations et des fantasmes transmis de génération en génération. Nos mamans sont plus à risque que dans d’autres territoires. En conséquence, le besoin de professionnels est considérable. Pourtant, c’est le département où il y a le moins de psychologues par habitant. 

Une meilleure information et un soutien de l’entourage : ce sont les clés pour mieux aborder la maternité ?
La parole se dénoue enfin et les informations commencent à circuler, mais entre femmes informées. Les mères qui se persuadent que la maternité est merveilleuse, qui nient les bouleversements qui s’opèrent en elles et sont peu entourées sont de très bonnes candidates au burn-out. C’est pour cela que dans les sociétés traditionnelles, les mères restent couchées pendant des semaines après l’accouchement, avec les familles élargies qui prennent en charge le bébé. Cet entourage et ce soutien permettent d’éviter les risques d’effondrement et d’épuisement, gros facteurs de fabrication d’une dépression.

Article issu du n°
199
de Côtes d’Armor magazine

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