Patrimoine

Quand les bretonnes quittaient leur village pour devenir bonnes à Paris

L'exode rural a conduit à l'abandon de nombreuses fermes, comme ici, près du Faouët. (Photo D. Violain).

C’était en 1927. Jeanette Favennec, seize ans, quitte sa ferme natale des environs de Pleyben pour tenter de trouver du travail sur Paris. Elle raconte son départ et son voyage en train, elle qui n’était jamais sortie de son village breton.

  • « Chez nous, près de Pleyben, il y avait onze enfants et il fallait se débrouiller très tôt. Ma mère était journalière et allait de lavoir en lavoir, frotter le linge des autres. Mon père était maçon. Il partait toute la semaine sur des chantiers et laissait une bonne partie de sa paye au café. La vie était dure. On n’avait pas toujours grand-chose à manger et pour aller à l’école, il fallait faire sept kilomètres à pied. Le soir, on dormait à six enfants dans le même lit clos. C’était pas toujours pratique, surtout avec des petits...

    « Quand j’ai décidé de partir de Bretagne, j’avais tout juste seize ans mais j’étais servante de ferme depuis déjà longtemps. Mes deux sœurs aînées étaient montées à Paris où elles s’étaient mariées. Elles m’avaient parlé de cette ville pleine de gens, de bruits et de lumières et m’avaient dit de venir les rejoindre. Elles m’avaient assuré qu’elles me retrouveraient un travail et qu’elles me logeraient chez elles.

    «  Alors j’ai embrassé ma mère dans la cour de la ferme »

    Affiche de la Mission Bretonne, placardée sur les murs de la gare Montparnasse, en 1950. Cette association jouera un rôle majeur en faveur des conditions des employées de maison.
    Affiche de la Mission Bretonne, placardée sur les murs de la gare Montparnasse, en 1950. Cette association jouera un rôle majeur en faveur des conditions des employées de maison.

    « Alors j’ai embrassé ma mère dans la cour de la ferme. Elle était triste et inquiète, je l’étais aussi. Et puis ma tante m’a accompagnée à Châteaulin et m’a mise dans le train. Avec ma valise, ma coiffe de Pleyben et mon estomac qui faisaient des nœuds. C’est sûr, je devais avoir l’air d’une sacrée Bécassine ! Mais tout était tellement nouveau pour moi. Je n’étais jamais sortie de Pleyben et je prenais le train pour la première fois.

    « Je me suis installée dans un compartiment où j’étais seule. Mais un peu après le départ, un homme est entré. Je m’en souviens encore. Il s’est assis, et d’un geste brusque, a fermé les rideaux. Je suis restée un instant pétrifiée et puis j’ai cramponné ma valise et suis sortie dans le couloir. Pas question de rester seule avec un inconnu et encore moins de lui parler. En plus, je parlais très mal le français... Heureusement, j’ai aperçu deux religieuses assises sur des strapontins, dans le couloir. Je leur ai expliqué tout ce qui m’arrivait, en breton. Et j’ai pleuré un bon coup. Mais les sœurs m’ont proposé de voyager en leur compagnie, j’étais rassurée. Je ne les ai quittées qu’à la gare. »

Article issu du n°
183
de Côtes d’Armor magazine

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