Patrimoine

Une journée avec une bonne à tout faire

Sous les combles de Montparnasse, 1928. (Photo A. Kertész (c) Ministère de la Culture, France

Lever 6h30, coucher 21h : c’est la journée type d’Emilienne Fournis, originaire de Malestroit, et arrivée à Paris en mars 1949 pour devenir bonne à tout faire dans le 17e arrondissement. Cinq années d'un dur labeur, pendant lesquelles servitude rimeront souvent avec solitude.

  • « J’étais levée chaque matin à 6h30. Aussitôt je préparais le petit déjeuner, le café et le chocolat. Les patrons et leurs enfants descendaient alors. Une fois qu’ils avaient terminé, je débarrassais et j’attaquais le ménage dans toute la maison, en prenant garde aux nombreux bibelots qui trônaient sur les meubles !

    « Ensuite, je filais au marché faire les courses pour la journée. Pommes de terre, carottes, choux... Finalement, c’étaient les mêmes légumes qu’au pays. Je ne sais pas pourquoi mais je m’attendais à des produits différents. Je pensais que les Parisiens ne mangeaient pas de carottes ou de choux comme chez nous. Ce qui changeait, par contre, c’étaient tous ces visages inconnus. Quelle tristesse ! Au marché de Malestroit, d’où je suis originaire, tout le monde se connaissait, on traînait, on parlait beaucoup. Ici, rien de tout cela... J’étais seule et je rentrais rapidement.

    « Vite, le repas du midi »

    « Vite, le repas du midi. C’était facile pour moi, car les patrons ne demandaient pas de choses compliquées. Le déjeuner fini, je faisais la vaisselle et nettoyais la cuisine. Puis à 14 heures, je sortais les enfants au square. Je n’avais jamais gardé d’enfants auparavant et j’étais très inquiète car ils étaient jeunes : deux et cinq ans.

    « Ma patronne m’avait expliqué comment aller au parc. Elle m’avait également appris, en même temps qu’aux enfants, le fonctionnement des feux tricolores que je n’avais jamais vus ; comment traverser en regardant à gauche d’abord puis à droite. À Malestroit on traversait n’importe où, n’importe quand, sans regarder. Il n’y avait qu’une voiture, celle du docteur. On ne pouvait pas la rater, elle était rouge et on l’entendait arriver ! À Paris, avec tout ce bruit, toute cette circulation, tous ces gens inconnus, il fallait sans cesse être sur ses gardes.

    Employées de maison aux Tuileries. Photo : BHVP
    Employées de maison aux Tuileries. Photo : BHVP

    « Au square, je me méfiais de tout et de tout le monde »

    « A parc, j’avais tout le temps un œil sur les enfants. Ma patronne m’avait interdit d’apporter un livre ou quoi que ce soit pour m’occuper. Elle me répétais toujours les mêmes recommandations : « Ne parle à personne, ne laisse pas les enfants jouer avec les autres, surveille-les tout le temps. » J’étais très inquiète car on m’avait dit qu’à Paris, des gens enlevaient les enfants. J’y pensais toute le temps.

    « Au square, je me méfiais de tout et de tout le monde. Je n’avais de contact avec personne, même pas avec les autres bonnes rencontrées au square. On se disait juste quelques mots : « Tu viens d’où ? », « tu en gardes combien ? », « ça fait longtemps que tu es à Paris ? » Ca s’arrêtait là. Je crois que nos étions toutes sur la défensive. Tout cela était une lourde responsabilité pour moi, j’étais affolée, toujours tendue, fatiguée. En fait, je n’étais rassurée qu’une fois rentrée à la maison.

    « Il fallait alors faire le bain des enfants, avant de laver le linge »

    « Tous les jours nous revenions du parc à 17 heures. Il fallait alors faire le bain des enfants, avant de laver le linge, quand je n’avais pas pu le faire le matin. C’était à la main et cela me prenait beaucoup de temps. Le soir je faisais la vaisselle et je rangeais la cuisine puis j’allais enfin me coucher, vers 21 heures. C’était chaque jour la même rengaine qui recommençait... sauf le dimanche, où je faisais le ménage, le linge, puis à manger pour le midi. Mais l’après-midi, j’étais de congé. Il fallait tout de même que je leur prépare un repas froid, ou à réchauffer pour le soir avant d’être libre.

    « J’allais souvent au bal retrouver mes amies »

    « 14 heures, je pouvais aller prendre un peu l’air. J’allais souvent au bal retrouver mes amies de Malestroit, avec qui nous parlions de nos petits malheures de la semaine. Le soir, sans avoir d’heure précise, je devais quand même signaler mon retour en accrochant à la porte un message. Et puis je montais dans ma petite chambre. Au 6e étage.

    « Un bon souvenir ? Comme je ne sortais pas tous les dimanche, mes patrons, un jour, m’ont offer un petit poste de radio. Ç’a été pour moi une grande joie, je pouvais rester tranquillement dans ma chambre à écouter les histoires et les chansons. À partir de ce moment, je n’étais plus vraiment seule... »

    Pour se divertir, de nombreuses "bonnes à tout faire" se rendaient au bal le week-end, comme ici dans un bal populaire dans les rues parisiennes. Photo : UP/EMEDIA
    Pour se divertir, de nombreuses "bonnes à tout faire" se rendaient au bal le week-end, comme ici dans un bal populaire dans les rues parisiennes. Photo : UP/EMEDIA

     

     

Article issu du n°
183
de Côtes d’Armor magazine

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