Patrimoine

Les Chouans des Côtes-du-Nord, ces brigands...

Tableau de Jules Girardet « Episode de la Chouannerie » (Musée des Jacobins de Morlaix), extrait de La Révolution dans le Trégor, éd. Trégor 89

Entre 1793 et 1801, éclate l’une des plus terribles révoltes connues en Bretagne : la chouannerie. Une guérilla sanglante qui oppose républicains et royalistes, faite de pillages, de coups de mains, d’embuscades et de batailles sanglantes. Et en Côtes-du-Nord ? Aux armes !

  • Début 1793, les campagnes bretonnes vivent dans un climat d’espoir déçu. À ses débuts pourtant, la Révolution a été plutôt bien perçue par la population, qui accueille plutôt favorablement la fin des privilèges féodaux. Mais l’ambiance se détériore : les paysans voient d’un mauvais œil les bourgeois s’accaparer les Biens nationaux, et les prêtres doivent prêter serment à la constitution, ce que beaucoup refusent. Mais ce qui achèvera de mettre le feu aux poudres, c’est le décret du 24 février 1793, qui ordonne la levée en masse de 300 000 hommes âgés de 18 à 40 ans, célibataires ou veufs sans enfant, pour renouveler les troupes, suite à la déclaration de guerre des puissances étrangères à la France.

    Dans le district de Loudéac, où l’effectif demandé est le plus important des Côtes-du-Nord, 920 hommes, les administrateurs loudéaciens écrivent au département pour leur faire part de leurs craintes, dès le 10 mars 1793 : « Les campagnes discutent hautement qu’ils ne tireront point au sort, qu’ils ne fourniront point de soldat. L’aristocratie les excite et nous craignons des révoltes dans plusieurs paroisses », relate  Elisabeth Perrot, dans La chouannerie dans le district de Loudéac. Cette mesure est en effet un traumatisme dans les campagnes bretonnes, où les paysans sont particulièrement attachés à leurs terre.

    Boishardy, figure charismatique des Chouans

    Portrait de Boishardy, dans "Les chouanneries dans le pays de Loudéac", de Jean Lebranchu, éd. Yves Salmon
    Portrait de Boishardy, dans "Les chouanneries dans le pays de Loudéac", de Jean Lebranchu, éd. Yves Salmon

    « Le refus de partir fut la règle générale, ceux qui n’avaient pas pu échapper à la mobilisation immédiate s’évadaient sur la route de Guingamp ou de Rennes », raconte Jean Lebranchu dans Les chouanneries dans le pays de Loudéac. Ne pouvant revenir chez eux, ils s’en allèrent grossir les troupes du chef chouan le plus proche. A ces déserteurs s’ajoutèrent d’autres déserteurs venant de l’armée républicaine, des cadres surtout, mal payés, mal nourris, soldats de métier ». Très vite, une figure émerge pour mener la révolte contre la levée en masse dans la région de Jugon-les-Lacs et à Saint-Brieuc : Jérôme Boihardy, originaire de Bréhand, et Lieutenant au 60è Régiment d’Infanterie en 1791. Entraîné à tous les exercices corporels, séducteur, romou à la fatigue et doué d’une éloquence naturelle, Boishardy conquiert rapidement les paysans au milieu desquels il vit.

    Mais jusqu’en novembre, ce sont surtout des manifestations d’insoumission des appelés auxquelles on assiste. Ainsi, le 10 novembre 1793, éclate une insurrection contre-révolutionnaire, à Plouaret, dans le district de Lannion, qui gardera le nom d’ « affaire de Plouaret ». Pour barrer la route aux vendéens rebelles qui approchent, les administrateurs du département des Côtes-du-Nord décrètent en effet la formation d’urgence d’un régiment de requis.

    « Un tas de canailles et de fripons »

    Dans cette commune où l’on doit fournir 55 hommes, on ne l’entend pas de cette oreille... Emmanuel Mazé, dans l’ouvrage collectif La révolution dans le Trégor, nous livre un récit très vivant de cette journée : ce 10 novembre au petit matin, nous apprend t-il, la liste des 55 requis lue par le curé puis par le maire est très mal accueillie : « Les jeunes désignés, leurs parents, leurs amis, profèrent des injures, menacent les responsables ». Dans l’après-midi, l’insurrection enfle. « Une foule considérable envahit le bureau municipal après en avoir enfoncé les portes. Les insurgés traitent toute ce beau monde ''d'un tas de canailles et de fripons'' ». Rapidement, la révolte s’étend aux communes voisines, et pendant cinq jours, les coups de bâton pleuvent entre les rebelles et les Républicains, et le sang coule en abondance. Verdict : six meneurs seront guillotinés par le tribunal criminel du département, le 12 mai 1794.

    80 % de jeunes paysans

    Signalement
    Extrait de "Les chouanneries dans le pays de Loudéac", de Jean Lebranchu, éd. Yves Salmon

    C’est à partir de ce mois de novembre que la révolte prend la forme de guérilla, qu’on commence à désigner sous le nom de chouannerie. Les chouans ? Principalement des hommes entre 18 et 30 ans, des paysans à 80 %, surtout des requis déserteurs, et dont le but est de détruire les autorités et de s’en prendre à tout ce qui représente la République.

    Mais revenons à Boishardy, devenu chef chouan, et tout particulièrement à son principal fait d’armes. Nous sommes le 16 décembre 1794. à l’aube, après une longue marche nocturne, une bande de 400 hommes, menée par notre homme, entre sans bruit dans la petite ville de Jugon, où les habitants « se réveillent éberlués de voir ces chouans dont on parle tant », indique Jean Lebranchu. Sous les cris de « Vive le roi ! », l’arbre de la Liberté est abattu sur la place principale, et les insurgés rentrent dans les maisons pour y piller armes, charriots et vêtements. A midi, après passage des troupes dans les estaminets pour boire et manger à l’oeil, Boishardy donna l’ordre de départ, pour éviter l’arrivée d’un éventuel détachement de Bleus.

    Cette prise de Jugon, propre et massive, augmenta la renommée de Boishardy, prouvant qu’il pouvait monter une attaque sur n’importe quel point de son secteur, et fit naître par là-même la crainte des Républicains, qui jusqu’alors ne craignaient que les brigands venus du Morbihan.

     

    « Pas une commune à l’abri de leurs rapines »

    Mort Boishardy
    Tête coupée de Boishardy, dans "Histoire de la Révolution", deAdolphe Thiers, ed. 1866

    Charismatique et fédérateur, Boishardy parvint à mobiliser des milliers hommes, tous acquis à sa cause. Pendant des mois, sa troupe de chouans sévit, ici et là. « Ces scélérats ont brûlé les archives dans les communes de La Motte, Plessala Gausson et Plémy, et ils y ont abattu les arbres de la liberté. (…). La nuit dernière pour la 4è fois, ils ont visité la commune de Saint-Caradec, ont fouillé plusieurs maisons, tenant le pistolet sous la gorge des personnes qui y résidaient. Ils ont pillé chez le maire. (…)  Il n’y a pas une commune de ce district qui ne soit à l’abri de leurs rapines », décrit une lettre écrite au département, datée du 7 janvier 17952 .

    Au gré des soubresauts nationaux, deux mois plus tard, Boishardy signe avec le Général Hoche le traité de Moncontour, qui posait les bases de la paix entre les chouans et les Républicains.

    Moncontour
    Rencontre entre chefs chouans et Républicains à Moncontour. Crédit : Dessin de Loïc Ruello, dans "Le Penthièvre et Le Mené dans la Révolution"

    Un traité de paix certes...  mais respecté à peine trois mois. Hoche résolut alors de poursuivre les chefs de chouans réfractaires, dont Boishardy. Mais attraper notre homme n’était pas chose facile : il change fréquemment de résidence, loge chez des amis, ou couche dans les champs. Dans la nuit du 15 au 16 juin 1795, alors qu’il dormait dans un hamac attaché aux arbres à 2 km de Moncontour auprès de sa fiancée, un traître livre sa cachette à Hoche. C’est l’embuscade : Boishardy se fait prendre et massacrer. Le jour suivant, on promène sa tête sanglante au bout d’une pique dans tout Moncontour puis à Lamballe...

    Assassinats et pillage des riches

    La chouannerie dans le département ne se remit pas de la mort de son chef principal. Privée de son charismatique meneur, elle change de visage et évolue en micro-chouannerie jusqu’en 1800 : désormais, ce seront de petits groupes clandestins qui attaqueront par surprise des effectifs bleus réduits, sous le commandement de chefs de secteurs, mais de façon autonome.

    En août 1796, l’état de siège est levé dans les départements de l’ouest et le culte catholique est à nouveau autorisé, ce qui contribue à l’apaisement général. « Le département ne sera plus troublé jusqu’en 1798 que par des bandes de voleurs de grands chemin : déserteurs de l’armée et de la marine, évadés du bagne de Brest, paysans ruinés, vagabonds... », nous enseigne Hervé Pommeret, dans La Troisième Chouannerie. La situation de la chouannerie ne semble alors plus confortable : « Les effectifs ont fondu, les caisses chouannes sont vides et n’ont, pour se réalimenter, que le pillage des perceptions, explique Dr Jean Lebranchu. Enfin, au sein des bandes de chouans se sont glissés un certain nombre de mauvais sujets et quelques hors-la-loi ».

    Troisième chouannerie : les Côtes-du-Nord reprennent de la vigueur

    Chouans
    Tableau de Jules Girardet « Episode de la Chouannerie » (Musée des Jacobins de Morlaix), extrait de La Révolution dans le Trégor, éd. Trégor 89

    Les combattants semblent donc lassés de tant d’années de guerre civile... mais le département des Côtes-d-Nord ne désarme pas, et crée l’armée catholique et royale des Côtes-du-Nord, sous le commandement de Mercier. La troisième chouannerie démarre, un peu partout dans l’Ouest, et les Côtes-du-Nord sont résolues à prendre leur part, avec des chefs de secteurs emblématiques comme Pierre Taupin ou Duviquet. Chef chouan redoutable, Pierre Taupin opère surtout dans l’Est du Trégor. C'est un homme assoiffé de vengeance, qui quelques années auparavant a assassiné dans son lit le chef du tribunal révolutionnaire qui a prononcé la sentence contre son épouse, guillotinée à Tréguier sur la place du Martray. Finalement attrapé en 1797, il est condamné au bagne en Guyane, dont il parvient à s’évader pour revenir sur ces terres en 1799, et prendre la tête des chouans de la 6è Légion des Cotes-du-Nord. Partout, la bande à Taupin sème la terreur, mais lui et ses troupes restent insaisissables, malgré les efforts des forces armées républicaines de Lannion et Guingamp.

    « La horde des scélérats qui infestent nos environs »

    Une lettre au département, datée du 30 mars 1799, nous donne un aperçu vivant des agissements impitoyables des chouans. « Un vol vient encore de se commettre dans la commune de La Prenessaye, canton de Plémet, par la horde des scélérats qui infestent nos environs : le 7 germinal présent mois environ les 7 heures du soir, cinq de ces malfaiteurs entrèrent chez le citoyen Launay-Morel, au village de Launay. Ce citoyen, commissaire du pouvoir exécutif près le canton de Plémet, était au lit, travaillé de la goutte dont il a des attaques très fréquentes ; ils le maltraitèrent de paroles, le menacèrent et lui demandèrent de l’argent : la peur le fit leur compter 3000 et quelques francs ; une de ses filles compta 174 francs qu’elle avait également. Ils prirent le linge qui leur convenait et emportèrent trois fusils, une paire de pistolets et un sabre ».

    1799, district de Saint-Brieuc

    Le district de Saint-Brieuc n’est pas en reste, comme nous l’enseigne les Registres de correspondances des Archives départementales (cf bibliographie). Toujours en 1799, « Une bande de ces rebelles commandée par Duviquet sème le trouble. Cette bande, la seule qui soit continuellement rassemblée, est forte de 15 à, 20 brigands. Elle parcourt une ligne depuis Lamballe jusqu'à Matignon et une autre depuis Lamballe jusques vers Loudéac. Elle a deux grandes forêts pour se réfugier, Lorges et la Hunaudaye et plusieurs bois très étendus ».

    En janvier 1800, la chouannerie s'est étendue dans l'est du Trégor. Une troupe de 400 chouans est alors active aux alentours de Pontrieux. Le 8 février 1800, les chouans de Taupin, venus de la région de Plouha, s'installent dans le château de Restmeur, à Pommerit-le-Vicomte. Informé de ce mouvement, les républicains du cantonnement de Pontrieux envoient 50 hommes de la garde nationale et de la compagnie franche à la rencontre des chouans. À la suite d’un dur combat, les Républicains battent en retraite après la perte de trois hommes. Le lendemain, 9 février, vers 7 heures du matin, les chouans abandonnent le Restmeur et, par le pont de Squiffiec, se dirigent vers le bourg de Tréglamus où ils sont attaqués, le 1er mars au matin, par la troupe de Belle-Isle-en-Terre. Le chef Taupin est tué. Les combats du Restmeur et de Tréglamus sont les deux derniers des chouans avant la pacification définitive de la région.

    Vers la fin des troubles

    « Cette Chouannerie se poursuit, avec des hauts et des bas, jusqu’en 1801, car les chouans mènent une lutte sur leurs propres objectifs, et restent largement indifférents aux paix signées à plusieurs reprises », explique Alain Croix dans « Histoire populaire de la Bretagne ». Les chouans ne sont plus qu’une petite minorité, trop habituée à la clandestinité, qui s’en prend surtout aux notables patriotes, entre assassinats et pillage des riches. Les quelques chefs encore réfractaires n'ont plus le soutien de la population, satisfaite des concessions. Ce sera, sensiblement, la fin des troubles, à la ville comme à la campagne.

     

    Bibliographie
    • La chouannerie dans le district de Loudéac, Elisabeth Perrot, Maîtrise d’Histoire, 1990, Archives départementales des Côtes d’Armor
    • Les chouanneries dans le pays de Loudéac, Docteur Jean Lebranchu, éd. Yves Salmon, 1989
    • La révolution dans le Trégor, ouvrage collectif, éd. Trégor 89
    • Histoire populaire de la Bretagne, d’Alain Croix, Thierry Guidet, Gwenaël Guillaume et Didier Guyvarc’h, éd. PUR, 2019
    • La Troisième Chouannerie, d’Hervé Pommeret, éd. Presses Bretonnes – Saint-Brieuc, 1935
    • Registres de correspondance du commissariat, op. cit. Lettre du commissaire central du 16 messidor an VII, Archives départementales des Côtes d’Armor
septembre - octobre 2020

Article issu du n°
176
de Côtes d’Armor magazine

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