Histoire

Madeleine Marzin, l’institutrice rebelle devenue députée

Madeleine Marzin
Madeleine Marzin sur l’Acropole à Athènes en délégation parlementaire, dans les années 1950 (photo recadrée). // Crédit : Fonds Gustave Marzin, neveu de Madeleine.

Madeleine Marzin : retenez bien son nom. Institutrice, communiste, résistante, proche de l’écrivain Louis Guilloux et de son épouse Renée, première condamnée à mort lors de la deuxième Guerre mondiale… Une héroïne, qui a pesé dans l’Histoire, et qui pourtant avait sombré dans l’oubli. C’était sans compter l’ouvrage captivant qu’Alain Prigent, ancien professeur d’Histoire à Lannion, vient de lui consacrer, redonnant vie à cette enfant hors norme du Trégor.

  • Rien ne la prédestinait à la vie incroyable qu’elle allait se forger. Troisième enfant d’une fratrie de six, la petite Madeleine naît en 1908, à Loudéac, dans une famille modeste. Elle passe une partie de son enfance à Plouaret, parmi des paysans qui « travaillent toute leur vie pour posséder deux grammes de terre à leur mort », écrira t-elle à celle qui allait devenir sa grande confidente. 

    Cette amie, c’est Renée Guilloux, épouse de l’écrivain Louis Guilloux, et surtout professeure de Lettres à l’École normale de Saint-Brieuc, où Madeleine, qui se destine à une carrière d’institutrice, est reçue à ses 18 ans. L’enseignante, qui détonne par sa liberté, sa proximité avec les élèves et sa pédagogie novatrice, restera un phare pour la jeune femme. Une amitié telle que Madeleine deviendra, en 1932, la marraine d’Yvonne, fille des époux Guilloux. « L’enfant que Madeleine n’aura jamais », note Alain Prigent.

    Vent debout contre l’immobilisme de l’école

    Rebutée par l’enseignement traditionnel qui est dispensé, la Trégorroise achève dans la douleur ses deux années de formation, à Saint-Brieuc puis Rennes. Elle deviendra donc institutrice à sa façon, d’abord au Vieux-Marché, à Kermaria-Sulard puis au Yaudet. Indifférente aux rapports hiérarchiques, vent debout contre l’immobilisme de l’école, elle parle breton avec ses élèves qui la tutoient, fait classe dehors… et s’attire les foudres de ses collègues conservatrices, leur préférant les instituteurs militants de la CGT-U1.

    Peu à peu, elle rêve « de quitter ce Trégor rural qu’elle a pourtant chevillé au corps mais qui l’étouffe », relate Alain Prigent. Alors direction Paris, en 1931. Elle a 23 ans, et intègre le parti communiste, l’association des Bretons émancipés de Paris, et le syndicat unitaire de l’enseignement de la Seine, dont elle devient bientôt l’une des chevilles ouvrières. « Il faut bien entrer tôt ou tard dans la ronde », s’en expliquera-t-elle à Renée et Louis Guilloux. Nommée à Saint-Ouen, elle fait la classe à « des enfants des bidonvilles, gosses de chiffonniers », et pour les aider, n’hésite pas à « s’aventurer dans les baraques de la zone » où ils vivent.

    Madeleine Marzin dans les années 50. Crédit : L’Humanité
    Madeleine Marzin dans les années 50. Crédit : L’Humanité

    « La lutte, c’est le pain et le sel de notre existence »

    En 1934, frappée par la tuberculose, elle est contrainte de se mettre en retrait de ses activités, et enchaîne pendant trois ans les séjours au sanatorium de Sainte-Feyre, dans la Creuse. Durant cette période, la jeune femme joue un rôle précieux dans la carrière littéraire de Louis Guilloux, relisant et corrigeant ses manuscrits, l’encourageant sans cesse. « La lutte, c’est le pain et le sel de notre existence », lui rappelle-t-elle dans une lettre, au moment où l’écrivain peine à écrire. Remise sur pieds, elle reprend sa carrière d’institutrice, au Plessis-Robinson dans les Hauts-de-Seine, où elle officiera jusqu’en 1942. 

    Septembre 1939, la guerre est déclarée. Madeleine se charge d’organiser la mise à l’abri d’écoliers parisiens dans l’Allier, avant de revenir en 1940 dans la capitale, marquée par l’exode de dizaines de milliers de personnes. Les temps sont durs, mais Madeleine ne lâche rien. En parallèle de ses fonctions d’enseignante, elle s’inscrit dans les réseaux de Résistance de l’Éducation nationale, et au sein du PC illégal. 

    La femme la plus recherchée de France pendant l’Occupation

    31 mai 1942, sa vie bascule. Nous sommes devant le magasin alimentaire Eco, rue Buci. La résistante y est chargée d’organiser un rassemblement de femmes contre la vie chère. Mais très vite, ça dérape. Deux agents sont tués, et 18 résistants arrêtés, dont Madeleine. Le Tribunal d’État rend son verdict : la militante est condamnée à mort. Emprisonnée à la Santé, elle échappe de peu à la guillotine en étant graciée par le maréchal Pétain. 

    En août 1942, elle parvient à s’échapper au nez et à la barbe des policiers en gare de Montparnasse, au moment de son transfert prévu vers la prison de Rennes. Elle devient alors la femme la plus recherchée de France. Contrainte à la clandestinité, injustement « sanctionnée pour son impertinence politique » par son parti, la fugitive disparaît des radars pendant 17 mois. Sa cavale s’achève quand le PC la missionne début 1944 pour coordonner la Résistance féminine dans l’est de la France, où elle participe à la libération de Nancy.

    La fausse carte d’identité délivrée à Madeleine Marzin pour qu’elle puisse rejoindre sans délai l’Est de la France en 1944. Crédit : Photo extraite de l'ouvrage "Madeleine Marzin, Bretonne, résistante et élue communiste de Paris" d'Alain Prigent, éd. Manifeste, 2022.

    Députée des quartiers populaires parisiens

    De retour à Paris, en 1945, elle participe à la création de l’Union des Femmes Françaises, un million d’adhérentes, dont elle devient l’une des dirigeantes. Dans la foulée, elle est élue conseillère municipale, aux côtés de cinq autres femmes parmi les 27 élus du groupe communiste. En 1951, elle devient députée des quartiers populaires de Belleville et Ménilmontant, avant de se consacrer jusqu’en 1971 à ses fonctions d’élue municipale. Désormais « figure majeure de la vie politique parisienne », Madeleine devient présidente du groupe communiste à la mairie de Paris en 1965. Une première pour une femme. 

    Pendant ses 26 ans de mandats, sans relâche, elle luttera pour le droit des plus modestes au logement, à l’éducation, au sport et à la santé, n’hésitant pas à « frapper aux portes dans les quartiers populaires » pour « comprendre les problèmes et souffrances », poursuit l’historien. A 63 ans, elle décide de laisser sa place « à la génération montante », avant de finir tranquillement ses jours sur les hauteurs de Belleville, où elle s’éteint à l’âge de 90 ans. « J’ai pu voir dix fois, 100 fois comment elle vivait et se considérait comme une élue du peuple. C’était fusionnel », dira d’elle le politicien Henri Malberg, en 2009, lors de l’inauguration de la rue parisienne Madeleine-Marzin.

    1 Confédération générale du travail unitaire, organisation syndicale française qui a existé de 1921 à 1936.


    A lire : Madeleine Marzin, Bretonne, résistante et élue communiste de Paris. Alain Prigent, éd. Manifeste, 2022. Pour acheter le livre ou faire intervenir l’auteur : Alain Prigent | 02 96 46 49 97 | alain.prigent3@wanadoo.fr 

Article issu du n°
191
de Côtes d’Armor magazine

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