Interview

Dr Sophie Cha : « Le corps est fait pour bouger »

ophie Cha, médecin du sport, conseillère DRAJES Bretagne (Délégation Régionale Académique Jeunesse Engagement et Sport)
Sophie Cha, médecin du sport, conseillère DRAJES Bretagne (Délégation Régionale Académique Jeunesse Engagement et Sport)

Depuis qu’elle est médecin, Sophie Cha défend avec vigueur la nécessité de pratiquer une activité physique, au quotidien. Elle ne mâche pas ses mots, et pour cause : les indicateurs sanitaires se dégradent fortement. Entretien avec une experte reconnue du sport-santé, qui fait bouger les lignes.

  • En tant que médecin, vous défendez avec force la nécessité de pratiquer une activité physique. Pour quelles raisons ?
    Il faut le dire haut et fort : le corps est fait pour bouger, c'est ne pas faire de sport qui est dangereux. De 4 à 18 ans, les enfants devraient bouger une heure par jour, or ils sont de plus en plus sédentaires. Un quart des collégiens ont perdu leur capacité physique en 40 ans, un tiers des femmes meurent d'une maladie cardio-vasculaire... Ces chiffres sont vertigineux et alarmants, et les indicateurs sanitaires se dégradent très vite du fait de l’accélération de la sédentarité. C'est un véritable enjeu de société, et un enjeu majeur de santé publique.

    Quels sont les effets de l’inactivité sur la santé ?
    Les effets sont immédiats dès l’enfance. Comparons un enfant qu’on va laisser immobile pendant 3 heures et celui à qui on va demander de bouger 3 minutes toutes les demi-heures : on voit tout de suite que la glycémie qui va suivre le repas suivant sera plus élevée chez les enfants qui seront restés assis 3 heures. Chez l’adulte, effets immédiats sur la régulation de la glycémie et la tension artérielle parmi les effets les plus graves. Avec le temps, l’accumulation de la graisse viscérale, c’est-à-dire la graisse qui entoure les organes tels que le foie, le cœur ou les intestins, peut se révéler très dangereuse. Cette graisse n’est pas inerte, elle secrète des substances toxiques qui vont entraîner une résistance à l’insuline mais aussi une inflammation, pas très sévère mais permanente de tous les tissus, et donc favoriser l’apparition de cancers, de diabète, d’hypertension, de tous types de maladies chroniques. Pour l’éliminer, il n’y a pas de secret, il faut pratiquer des activités physiques régulières.

    Quelles sont les préconisations en termes d’activité physique : 30 minutes ou 1 heure par jour ?
    Jusqu’en novembre 2020, c’était 30 minutes d’activité physique modérée, c’est-à-dire quand le corps transpire un petit peu mais qu’on peut encore parler et qu’on n’est pas très essoufflé. Aujourd’hui, les préconisations en termes d’activité modérée sont passées à 1h. Il est également recommandé pour les adultes d’effectuer deux fois par semaine un peu de renforcement musculaire pendant 20 à 30 minutes, pour travailler le dos, les biceps.... Pour les moins de 18 ans, la recommandation est d’une heure d’activité quotidienne intense, que ce soit le roller, le foot... des activités avec impact, qui renforcent les os.

    En respectant les 30 minutes d’activité physique, quels seraient les effets sur la santé ?
    On diminuerait d’un quart en fréquence certains types de cancer comme les cancers du côlon ou de l’utérus, et d’un quart également l’apparition des diabètes, des maladies cardio-vasculaires, des accidents vasculaires cérébraux. On allongerait également l’espérance de vie : avec 1h de marche par jour, on gagne neuf années de vie en bonne santé. On me répond que l’espérance de vie ne cesse de s’allonger... Certes, mais uniquement grâce aux médicaments. Alors que miser sur l’activité physique, une alimentation équilibrée, ne pas fumer et ne pas boire en excès, permet de gagner 14 années de vie en bonne santé. Plus généralement, le sport a également des effets sur toutes les pathologies, y compris sur la santé mentale, les dépressions, les démences... Car faire travailler le corps a un impact sur le cerveau.

    En termes d’éducation, l’école a t-elle également un rôle à jouer ?
    Tout à fait, il faut que ce message soit véhiculé par l’école pour l’intégrer dans les modes de vie, que marcher dès tout petit soit naturel. Vous voyez dans les pays du nord, ils font classe en pleine nature, parce qu’on sait que des enfants qu’on met en situation de mouvement apprennent mieux, et que les performances scolaires sont meilleures quand ils se dépensent que quand ils restent assis dans une classe sans bouger, ce qu’on leur demande dans notre pays depuis des décennies... Plus globalement, dans certains pays nordiques ou germaniques, les gens ont une toute autre culture de l’entretien du corps, des activités extérieures aussi avec une habitude d’être dans le froid, de marcher... En France, on n’est pas du tout une nation sportive, nous n’avons pas cette culture...

    Pourquoi en est-on arrivé à cette sédentarité massive ?
    C’est la faute de tout le monde, c’est la société de manière générale qui s’est organisée ainsi. On laisse difficilement les enfants jouer dans la rue, et ça se comprend, c’est la vie des parents, c’est la consommation des écrans qui absorbe tout le temps libre des enfants et des adultes. Il est bien plus néfaste de laisser son enfant immobile devant un écran que de le laisser tomber en courant, en faisant du vélo...

    Quels ont été les effets de la crise sanitaire sur la santé ?  
    On s’est rendu compte notamment qu’un adolescent sur deux était aujourd’hui en très grand risque sanitaire parce qu’il passe plus de 4h30 devant un écran, et qu’il effectue moins de 20 minutes d’activité physique quotidienne. Les confinements ont également eu des effets sur les habitudes des gens en général, qui sont devenus bien plus sédentaires.

    Estimez-vous que les pouvoirs publics s’emparent efficacement de cet enjeu sociétal majeur et de ce problème de santé publique ?
    La stratégie nationale de sport bien-être, déclinée en régions dans le cadre de plans régionaux, est forte : impulser le sport-santé dans les clubs sportifs, donner les moyens pour développer les maisons de sport-santé, inciter les médecins à prescrire davantage d’activités physiques... Après les canaux de diffusion sont complexes, on a énormément de mal à diffuser de manière massive auprès des médecins, qui sont encore souvent dans la prescription de médicaments.

    Comment expliquer que les médecins ne soient pas plus prescripteurs d’activités sportives ?
    Dans les études de médecine on apprend surtout le système curatif, prescrire des médicaments. Mais aujourd’hui on est en pleine révolution. Les médecins sont poussés par les Agences Régionales de Santé (ARS) à développer des actions de prévention, et cela va venir dans les pratiques avec les nouvelles générations de médecins qui seront plus formés à la prescription d’activités sportives. En attendant, un médecin qui est convaincu par sa propre pratique proposera des traitements par l’activité physique, mais il reste énormément de médecins qui considèrent que le sport c’est dangereux, qui voient le traumatique, qui imaginent l’accident cardiaque, qui ont peur d’engager leur responsabilité... Sauf qu’il y a plus de risques à laisser les gens dans leur fauteuil qu’à les mettre en mouvement à partir du moment où les gens vont pratiquer d’une manière raisonnable, dans des structures encadrées, guidés par un éducateur sportif qui pourra proposer la bonne méthode. Les médecins se mobilisent peu en France, car le soin par l’activité sportive ne fait pas partie de notre culture.

    Certaines personnes sont peut-être réticentes car se remettre au sport leur semble une montagne. Comment remettre un corps en mouvement quand on a perdu l’habitude de se bouger, ou que ce n’est pas dans notre fonctionnement ?
    Chaque pas compte, et ce qui compte, c’est la régularité, et ne pas rester trois jours sans bouger : mieux vaut faire 15 minutes chaque jour plutôt que 2 heures de marche le dimanche, car l’activité musculaire déclenche tout un tas d’effets qui continuent de fonctionner de 24 à 48 heures, comme un médicament. Donc, si on veut que les effets soient permanents, il faut remettre en permanence la machine en marche. Ce qu’il faut dire, c’est que même en ne bougeant que 15 minutes par jour, on va améliorer sa santé très rapidement. Il y a de petites choses à mettre en place facilement : faire des petits mouvements de gym devant les infos, sauter sur place, faire quelques pompes dans son bureau, aller chercher son pain à pied plutôt que prendre la voiture, prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur... bref profiter de tous les interstices de la vie quotidienne pour se bouger.

    Quels sont les leviers pour inciter les gens à se remettre en mouvement ?
    C’est l’affaire de tous ! Il faudrait une communication à grande échelle pour informer des effets de l’inactivité et de la sédentarité, car il y a très peu de gens qui sont conscients que rester 4 heures devant son écran déglingue leur taux de glycémie ou leur tension artérielle ! Rester immobile est néfaste pour la santé, il faut simplement faire passer le message qu’il suffit de 30 minutes de marche pour aller beaucoup mieux. Ce message doit être passé par tout le monde, que ce soit les politiques comme les professionnels de santé.