Prix Louis-Guilloux

Entretien avec Olivier Dorchamps, prix Louis-Guilloux 2022

Olivier Dorchamps
Olivier Dorchamps, lauréat 2022 du Prix Louis-Guilloux

Il a tracé sa route à mille lieues de la littérature, entre Paris et Londres. Et puis vers 40 ans, il s’est mis à écrire. Son deuxième roman, Fuir l’Eden, a conquis le jury du Prix Louis-Guilloux, en nous plongeant dans les yeux d’un adolescent des quartiers populaires. Rencontre avec Olivier Dorchamps, auteur d’une sensibilité et d’un l’humanisme rares.

  • Vous avez été avocat et entrepreneur, mais vous n’appréciez pas forcément qu’on en parle. Pour quelle raison ?
    Ce sont des métiers qui sont vus comme élitistes, donc pas toujours perçus avec bienveillance... Pourtant on peut avoir choisi une carrière sans forcément en embrasser tous les codes, et sans qu’elle ne vous éloigne des vrais sujets. Ces professions nous confrontent aussi aux problèmes des gens, nous font prendre conscience que l’autre doit primer, qu’il faut en prendre soin... Et puis vous savez, en France, être écrivain c’est presque un statut social, donc si vous n’êtes pas passé par les bonnes cases, Normale Sup, Hypokhâgne ou un DEA de philosophie, on vous prend moins au sérieux, et vous ne pensez pas être légitime. 

    Pourquoi avoir choisi de plonger votre regard dans les quartiers défavorisés ?
    Quand on a reçu les armes de l’instruction, c’est presque un devoir de se pencher vers les plus démunis. Je ne me voyais pas écrire sur des états d’âme de bourgeois coincés dans un 150 m2 à Saint-Germain-des-Prés, ce n’est pas une littérature qui m’intéresse. J’aspire plutôt à être la voix de ceux qui n’en ont pas. C’est quand même beaucoup plus intéressant de mettre les mots qu’on possède au profit d’une avancée sociétale, en pointant du doigt la souffrance de ces gens qui ne savent même pas comment ils vont remplir leur voiture d’essence pour aller au boulot. Ça me crève le cœur de me dire que des personnes ont des choses à dire mais qu’elles ne le peuvent pas. 

    Qu’est ce que les classes populaires ont que les classes supérieures n’ont pas, en terme de valeurs ?
    Je vais peut-être choquer, mais pour moi la classe laborieuse et l’aristocratie sont plus proches qu’on ne l’imagine : générosité d’âme, sens de l’autre et de l’honneur, valeur du travail pour le bien commun... La bourgeoisie c’est l’inverse : médiocre, tournée sur elle-même, par définition égoïste, considérant qu’il faut garder le patrimoine avant tout. Je ne suis pas certain qu’elle ait le sens de l’honneur, elle retourne sa veste beaucoup plus facilement que ne pourrait le faire un ouvrier ou un aristocrate. Dans les classes sociales qui souffrent, on a aussi une notion de l’essentiel beaucoup plus vive, et une idée du bonheur plus profonde, car la moindre joie est décuplée alors que quand on est dans l’abondance, on est blasé. Le bonheur ne passe pas par la possession, or dans la bourgeoisie, on accumule au maximum en faisant croire que c’est ça le bonheur...

    Vous semblez attaché à l’idée d’émancipation sociale…
    L’ascenseur social, c’est une belle idée que nos dirigeants et philosophes expriment… mais je ne le vois pas toujours fonctionner. Dans un monde idéal, on aurait des gens valables qui nous dirigent. Or chez les élites, je trouve qu’il y a trop de cooptation, presque une volonté de garder ses fiefs pour ses enfants, envers et contre tout. Je suis pour leur renouvellement. J’aimerais que les gens puissent monter, mais que certains descendent aussi, pour qu’ils puissent être remplacés, afin qu’on arrive au meilleur. C’est sans doute une utopie car quand on a un enfant, on veut le protéger et tenter de lui offrir une carrière même s’il est médiocre, et qu’il y a des barrières sociales qui sont difficiles à franchir. Et puis quand on est arrivé en haut on a pas envie de descendre… mais dans une société normale on devrait. Une pure méritocratie, voilà ce à quoi j’aimerais qu’on aspire.

    Vous vous êtes mis à écrire sur le tard, pourquoi ? 
    Peut-être qu’au fond de moi il y avait cet espoir d’écrire… Quand j’avais 20 ans, j’avais une voie tracée dans le droit et suis donc devenu avocat, puis entrepreneur. A 40 ans, j’ai fait ma petite crise de la quarantaine… et me suis donné pour challenge d’écrire un manuscrit, pour moi et pour mes proches. Comme l’histoire se déroulait au Maroc, j’ai demandé à une amie marocaine de le relire pour m’assurer qu’il n’y ait pas d’erreurs culturelles. Elle m’a conseillé de l’adresser à des maisons d’édition, en me disant qu’on écrivait pas pour ne pas être publié. Je l’ai donc adressé à cinq maisons d’édition, trois ont répondu oui. J’ai choisi Finitude, la première à avoir répondu. J’aimais l’idée d’une maison d’édition de Province, petite mais reconnue, car j’ai ce problème de légitimité et ne me sens pas du tout appartenir à ce monde intellectuel parisien, même si j’ai grandi à Paris… mais aux Ternes, dans le 17e. Quand vous dites que venez de la rive droite, le milieu culturel vous regarde de haut...

    L’idée de votre roman est notamment née de rencontres avec des lycéens de banlieue parisienne. Qu’est-ce qui vous a marqué dans ces rencontres ?
    Quand on a à subir les problématiques de l’adolescence, période pendant laquelle on a une violence en soi, et que s’y greffent des problématiques sociales, je ne sais pas comment on fait pour traverser cette période... En ce qui me concerne j’avais les mots, j’avais l’entourage familial et éducatif, mais en Seine-Saint-Denis, je me suis aperçu que ces gamins étaient assez démunis. Ils ont beaucoup de choses à dire mais n’ont pas les mots pour le dire. Et quand on n’a pas les mots, comment peut-on exprimer ses émotions autrement que par des gestes, qui peuvent être mal interprétés, et surtout sans nuance ? Souvent ça se termine en bagarre parce que les mots n’existent plus… Et même si on a la chance d’avoir des professeurs remarquables, les frontières sociales sont très difficiles à vaincre. A Bagnolet les jeunes sont coincés par un ghetto qui n’a pas de mur, mais ils s’imposent ces murs car ils ont peur de Paris, et à Paris on a peur d’eux. Cette grande fraternité qu’on voudrait, il faut vraiment se faire violence pour la faire vivre. Prendre le risque de la rencontre, malgré la peur, qui naît du doute, ce sont des thèmes fascinants pour la littérature. 

    Pourquoi ce choix d’une langue plutôt élaborée, loin des banlieues que vous décrivez ?
    J’ai hésité à utiliser un langage un peu banlieue mais je me suis dit que je ne pouvais pas faire un plagiat du langage de ces jeunes, qui aurait été un peu factice, et on me l’aurait reproché, à juste titre. Et puis la pauvreté de vocabulaire est vite grossière, or le choix d’un mot juste peut permettre de rendre une émotion de manière plus réelle. Donc je me suis dit que même si mon personnage n’était pas très instruit, il avait le droit d’avoir une langue un peu châtiée pour exprimer toutes ses émotions, parce que dans notre tête, on a tous les mots, même ceux qu’on ne connaît pas. Si quelqu’un était dans notre tête et formulait les choses à notre place, on pourrait tout exprimer.   

    Ecrire, c’est difficile ?
    Pour moi, écrire c’est de la discipline et du labeur, je ne crois pas du tout au mythe de l’écrivain qui se réveille la nuit poussé par une fulgurance et qui écrit des heures durant. J’ai toujours une vague idée de là où je veux aller, et me laisse guider par mes personnages en me posant constamment la question du pourquoi. A force d’écrire, l’histoire se construit toute seule, c’est comme un squelette qu’on va remplir de chair au fur et à mesure. Je suis à la recherche du mot juste, pour exprimer au mieux la voix de mes personnages. Sans chercher non plus de la complication, car je déteste la littérature foisonnante de mots savants pour impressionner les lecteurs, je suis au contraire pour une littérature qui ne les prend pas de haut. De toutes façons les émotions sont ressenties de manière beaucoup plus fortes quand on utilise des mots simples et accessibles.  L’idée c’est quand même de toucher un maximum de lecteurs, et de les toucher dans leur coeur. S’il faut chercher un mot dans le dictionnaire toutes les deux minutes, on efface le plaisir de lecture, et puis il y a un snobisme qui s’installe. Quand je lis un écrivain qui me plaît, je n’ai pas besoin qu’il me prouve que c’est un bon écrivain. Tout comme je ne veux pas prouver à mes lecteurs que je suis plus savant qu’eux. Car la littérature, c’est le partage.

    Votre personnage, Adam, s’en sort grâce à des figures féminines. Vous êtes féministe ? 
    Bien sûr. Je suis assez influencé par les romanciers du 19e siècle, qui parlent de jeunes personnages un peu paumés qui vont trouver la rédemption grâce à une femme qui va leur tendre la main. C’est un thème qui me touche car il est très universel. Dans les milieux socialement défavorisés, les garçons s’imaginent souvent qu’être viril, c’est être brutal. Dans mon roman, je fais dire à un personnage féminin à l’attention d’Adam : « Être un homme, c’est être fragile ». S’autoriser à exprimer ses fragilités, c’est quelque chose qui commence à infuser, mais dans certains milieux c’est plus difficile, car la fragilité y est associée à la faiblesse. Je me rends compte que la lutte, ce n’est pas seulement la lutte des femmes, c’est aussi celle de certains hommes d’accepter que leur fragilité peut être une solution.

    Comment abordez-vous votre nouvelle vie d’écrivain ?
    J’y prends beaucoup de plaisir ! Il y a quelque chose de schizophrénique dans le fait d’être romancier. On passe ses journées seul pour écrire, et puis on est propulsé dans la promo, on rencontre beaucoup de monde. Rencontrer ses lecteurs est une expérience passionnante, qui génère tellement de partage… Comme le premier roman a bien marché, je me suis laissé prendre au jeu. Et comme le deuxième marche bien, je vais en écrire un troisième !

    25 minutes avec Olivier Dorchamps

Article issu du n°
190
de Côtes d’Armor magazine

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