Histoire

Grève au Joint français. "Les femmes avaient une revanche à prendre !"

Si cette photo emblématique a fait le tour du monde, en arrière-plan, Edouard Renard était là, lui aussi (couverture de l'hebdomadaire de la Ligue communiste, 15 avril 1972).
Si cette photo emblématique a fait le tour du monde, en arrière-plan, Edouard Renard était là, lui aussi (couverture de l'hebdomadaire de la Ligue communiste, 15 avril 1972).

Au printemps 1972, le Briochin Edouard Renard a 36 ans. Enseignant et militant à la Ligue communiste (LC), il a été présent tout au long du conflit aux côtés des ouvriers et des ouvrières. Concernant ces dernières – qui représentaient 64 % des effectifs – il évoque ses souvenirs en février dernier, chez lui, à Saint-Brieuc.

  • "Une majorité de femmes travaillait au Joint français et faisait les boulots les plus durs, ce qui s'ajoutait à leur condition. En 1971, plusieurs mois avant la grève, nous sommes intervenus avec notre organisation, la Ligue communiste, pour éviter une augmentation de salaire en pourcentage qui aurait favorisé les hauts salaires. Cette grève de 1971 a été un échec. Dans cette usine, il n'y avait pas de tradition de lutte. Ce sont les femmes en révolte qui ont démarré le conflit. La grève de 1972, c'est mai 1968 qui se rejoue au Joint français. Cette défaite de 1971 donne corps à la révolte.

  • Elles étaient les plus combatives dans l'usine

    "Les hommes ignoraient ce que faisaient les femmes de l'entreprise. Un certain machisme régnait parmi les ouvriers et les cadres. Un système machiste, un milieu peu éduqué, sans compter la double journée de travail, monnaie courante pour les femmes… elles n'existent pas dans l'usine. Pourtant, c'étaient les plus combatives, les plus agressives y compris vis-à-vis des cadres. Dans les semaines qui ont précédé la grève officielle, est-ce que les hommes croyaient à leur victoire ? Les femmes avaient une revanche à prendre, notamment sur la hiérarchie. Les hommes étaient plus qualifiés, mieux considérés. Sur les chaînes, le travail des femmes servait aux hommes ensuite. On se parlait peu.

  • Ouvrières et ouvriers se parlaient pour la première fois

    "Pendant la grève, les femmes venaient avec leur tricot et la presse du jour, et empêchaient les "jaunes" d'entrer dans l'usine. Elles ont écrit une chanson sur Jean-Louis Donnât, le directeur de l'époque. Pendant ces longs piquets de grève, j'étais là très souvent, avec elles. Elles se parlaient enfin de choses personnelles, de leurs difficultés, de ce qu'elles voulaient. C'est la première fois que les hommes et les femmes de l'usine se parlaient.

    "Elles parlaient peu des enjeux politiques. Les mouvances politiques (maoïstes, trotskystes ou autres…) et les discours contradictoires leur étaient incompréhensibles. Ce qu'elles voulaient, c'était leur grève ; ce qui les intéressait, c'était le combat, et l'étendre aux autres usines du secteur. Aujourd'hui, on veut faire de cette grève une icône, en oubliant sa dimension politique et sociale. Le Joint français était ce qu'on appelait alors une "usine pirate".

    Documentaire de la Ligue communiste. Collection RaDAR (5')
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    Le rôle méconnu de la Ligue communiste dans le conflit social

    "Bien qu’extérieurs à l’usine du Joint français implantée à Saint-Brieuc, écrit Hugo Melchior, le chercheur en histoire contemporaine et membre de la Société française d'histoire politique, en janvier dernier, les militants de la LC jouèrent dans ce conflit usinier inscrit dans la mémoire collective bretonne un rôle remarquable, quoique méconnu, comme l’illustre la présence, à l’arrière-plan, du militant Édouard Renard sur la photo iconique prise le 6 avril 1972 par Jacques Gourmelen. Les militants de la petite section briochine, soutenus par leurs camarades rennais et brestois, mirent toute leur énergie pour contribuer autant que faire se peut à la popularisation de la lutte afin que les salariés bénéficient d’un soutien tant matériel que moral de la part de la population."

Article issu du n°
186
de Côtes d’Armor magazine

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