- Histoire
Jeannie de Clarens, espionne-interprète née à Saint-Brieuc
Jeannie de Clarens (1919-2017) est l’une des plus grandes espionnes de la Deuxième Guerre mondiale, une héroïne de l’armée des ombres. Son exceptionnelle longévité a laissé le temps à ses contemporains de se souvenir de ses hauts faits pour lui accorder, quoique tardivement, de prestigieuses distinctions.
1er avril 1919 : naissance de Jeannie Rousseau, à Saint-Brieuc au 55, rue des Jardins (aujourd'hui rue Alsace-Lorraine) dans la maison de sa grand-mère maternelle, Alexandrine Le Charpentier, issue d'une vieille famille de négociants briochins. Alexandrine, certificat d'étude en poche, avait repris l'entreprise familiale de toile de jute à fabriquer des sacs. L'entreprise est à l'origine de la construction de maisons d'ouvriers à Saint-Brieuc. Son mari, du nord de la France, était issu d'une famille d'instituteurs. Il a fait une carrière de grand serviteur de l’État, représentant notamment la France en Rhénanie pendant la guerre de 1914-1918. Il a fait la Première Guerre dans les Eclaireurs à cheval, une unité risquée.
Sa famille
Son père, Jean Rousseau, était haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères pour lequel il a effectué de nombreux voyages au Proche-Orient. Ce qui explique sans doute la maîtrise de Jeannie pour les langues. Elle est la fille unique de Jean Rousseau et Marie Le Charpentier.
Ses études
Trilingue français, anglais, allemand, la jeune Jeannie excelle en langues, ainsi que dans toutes les autres matières, de l’économie sociale aux assurances, en passant par les "Formes modernes de la fortune mobilière." Son intelligence exceptionnelle est remarquée par ses professeurs tout comme par ses compagnons de résistance un peu plus tard.
Juillet 1940 : major de sa promotion à Sciences Po Paris (Institut d’études politiques), section Finances privées.
La guerre et son rôle dans la résistance
Mai 1940 : elle suit ses parents à Dinard qui fuient Paris occupé. C’est là que ses liens avec la Résistance vont se nouer. Le maire de la ville, ami de ses parents, la sollicite pour un travail d'interprète afin de faciliter les négociations entre les services locaux et les autorités allemandes. Walter von Reichenau, commandant de la 6e armée, y a installé son quartier général.
1941 : soupçonnée, elle est arrêtée en janvier par la Gestapo et emprisonnée à la prison de Rennes. Faute de preuves, elle est relâchée mais doit quitter la région. Retour à Paris où elle est secrétaire dans un bureau de relations publiques, chargée des liens entre l’occupant et les industriels français.
1942 : elle est recrutée par Georges Lamarque, du réseau Alliance. Elle prend alors le nom de code d'Amniarix. Elle réalise le plus grand exploit de ce réseau : elle se fait engager dans un organisme professionnel d’entente entre le patronat français et les services allemands à la recherche de fournisseurs.
1943 : elle réussit à accumuler de nombreuses informations sur des armes secrètes (bombes volantes V1 et V2*) mises au point par les Allemands à Peenemünde, grâce à sa mémoire photographique qui lui est d'un précieux secours. Les rapports de Jeannie, "enregistreur humain de renseignement" (Washington Post, 1998), envoyés en septembre, ont aidés à persuader le Premier ministre Winston Churchill de bombarder le centre d’essai de Peenemünde.
1944 : les Britanniques sont si frappés par les rapports de Jeannie qu’ils décident de la faire venir en Angleterre pour un débriefing. La mission tourne court, elle est capturée avec ses compagnons et incarcérée à la prison de Rennes.
Avril 1944 : alors qu’elle doit rejoindre Londres, elle est arrêtée à Pleubian avec François Le Bitoux, Élie de Dampierre, Jacques Collard et François Margeau. Jeannie Rousseau est internée et "interrogée" à la prison Rennes. Elle est ensuite déportée au camp d'extermination de Ravensbrück, où elle se distingue par des actes de rébellion, puis transférée au camp de travail de Torgau, enfin au petit Königsberg. Elle y prend la tête d’une fronde des détenues. Enfermée au cachot de Ravensbrück, atteinte de la tuberculose, c’est une mourante de 33 kg que la Croix-Rouge suédoise libère en 1945.
1945 : elle survit à une opération de la dernière chance. Lors de sa convalescence, elle rencontre un autre survivant, Henri de Clarens, rescapé de Büchenwald et d’Auschwitz.
*La V2 — de l'allemand Vergeltungswaffe 2, "arme de représailles" est un missile balistique développé par l'Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale et lancé à plusieurs milliers d'exemplaires en 1944 et 1945 contre les populations civiles principalement au Royaume-Uni et en Belgique.
Après la guerre
Au sortir du conflit, Jeannie est médaillée de la résistance.
1947 : elle épouse Henri de Clarens. Celui-ci fait une carrière dans la banque (Société générale), dans le corps d'inspection.
Quant à Jeannie de Clarens, "elle n'avait pas forcément envie d'avoir un métier ou une carrière, croit savoir son fils Pascal de Clarens. Elle était interprète, travaillait en indépendante et voyageait beaucoup." Elle a notamment travaillé comme interprète de haut niveau pour l'Organisation des nations unies et le ministère des Affaires étrangères…
1948 : naissance de sa fille Ariane.
1950 : naissance de son fils Pascal.
1955 : elle reçoit la Légion d'honneur.
1993 : elle est médaillée de l’Agency Seal Medal par la CIA des mains du directeur de la CIA, James Woolsey. Cette distinction honore les personnes ayant apporté une contribution importante aux efforts de renseignement de l’agence américaine
1998 : pour la première et unique fois, Jeannie de Clarens accepte une interview dans le Washington Post. C'est le seul témoignage de sa parole directe.
2009 : grande officière de la Légion d’honneur.
23 août 2017 : elle décède à 98 ans à Montaigu, en Vendée, département où vit son fils.
2018 : Sciences Po Paris baptise l'un de ses amphithéâtres du nom de Jeannie de Clarens.
"Le choix de donner le nom de Jeannie de Clarens à l'un de nos amphithéâtres correspond à la fois à une demande des étudiant.es et à la volonté de la direction, précise le service de presse de l'école. Pour cela, elle s'est appuyée sur le travail du Centre d'histoire de Sciences Po. L’amphithéâtre a été ainsi nommé en écho féminin aux noms masculins de résistants donnés aux salles de l’aile des conférences dans les années 1950. Le nom de Jeannie de Clarens figurait dans le Livre d’or de Sciences Po de la Seconde Guerre mondiale."
Les sources
Livre | Femmes d’exception en Bretagne sous l’occupation, d'Isabelle Le Boulanger, édition Coop Breizh
Blog | Mémoires de guerre
Site | Sciences Po Paris rend hommage à Jeannie de Clarens et Simone Veil
Article | Jeannie de Clarens accepte de raconter l’intégralité de son histoire, dans un unique entretien avec des journalistes du Washington Post (article traduit en français)