Interview

Jocelyn Gourvennec

Jocelyn Gourvennec
Jocelyn Gourvennec, entraîneur du LOSC, club de football de Ligue 1

Il occupe une place à part dans le cœur des supporters de l’En Avant Guingamp. Et pour cause, recruté en 2010 pour tenter de remobiliser l’équipe alors reléguée en National, Jocelyn Gourvennec a réussi le double exploit de faire remonter le club en Ligue 1 en 3 ans, et lui faire remporter en 2014 la 2è Coupe de France de son histoire. Entraîneur du club de Ligue 1 de Lille – championne de France en titre - depuis le début de cette saison, il trace sa carrière dans le foot depuis 30 ans, après une première vie de footballeur démarrée à Rennes, en 1991, et un passage sur Canal+ en tant que consultant. Avec la même détermination et la même envie que le petit garçon qu’il était, quand à 5 ans, il s’est dit qu’il ferait du football son métier. Nous l’avons rencontré en novembre pendant la trêve internationale, à Saint-Brieuc, devenu son port d’attache.

  • Pourquoi avez-vous choisi de faire du foot, et pas un autre sport ?
    Je ne sais pas trop l'expliquer... On m’a dit que dès tout petit j’avais tout le temps un ballon avec moi... J'accompagnais souvent mon frère aîné qui avait sa licence de foot, et comme les entraîneurs ont vu que je me débrouillais pas mal, ils m’ont pris très tôt à 5 ans. On était en 1977, j'étais un peu hors-la-loi car je jouais sans licence... Dès le CP, j’étais convaincu que je ferais du football mon métier. C'est difficilement explicable, mais le foot, j’ai toujours eu ça en moi.

    Vous avez conservé une belle popularité à Guingamp. Comment l’expliquez-vous ?
    Le parcours à Guingamp a été magnifique. En réponse au traumatisme qui était la descente en Nationale en 2010, Noël Le Graët a choisi de parier sur moi, alors que j'étais un jeune entraîneur. C'est un choix qu’il n’avait jamais fait dans sa carrière, et qu'il n'a jamais refait ensuite. Je ne sais toujours pas pourquoi il fait ça. Mais le fait est qu'on est partis sur un nouveau cycle et qu'on accumulé beaucoup de succès : on a regagné la Coupe contre le même adversaire [Rennes NDLR] puis on a fait un grand parcours en Coupe d’Europe, et on s’est toujours maintenus en Ligue 1. Je pense aussi que j’ai peut-être gagné le respect des Guingampais parce que j’ai aidé le fleuve à se maintenir, même si on est redescendus en Ligue 2 trois ans plus tard.

    Vos meilleurs moments à Guingamp ?
    Il y a de grands moments sportifs, comme la montée en Ligue 1, avec les matchs à Rouen et Gueugnon, ou la Coupe de France. Et puis les victoires en Coupe d’Europe ont été aussi de grands moments car on était le premier club breton à jouer des matchs en Coupe d’Europe. Je retiens aussi l’aventure humaine et les relations qu’on a eues, avec le staff, les joueurs, les salariés, les bénévoles, parce que c’est ce qui fait la force de Guingamp.

    Vous avez été appelé pour entraîner le club de Lille, qui venait de terminer premier du championnat. Un gros défi... Votre arrivée a t-elle été difficile ?
    Oui c’est un gros défi. C’est toujours très dur d’arriver dans un club qui a gagné. C'est très difficile aussi de passer derrière un grand coach comme Christophe Galtier, mais j’ai relevé le challenge et le relève toujours, avec beaucoup de ténacité, d’envie, de travail, de motivation. C’est une très belle expérience pour moi, mais également challenge très relevé, très difficile. On tente de faire belles choses et d’essayer de marquer l’histoire du club. Le Trophée des Champions et le parcours en Europe sont en cours, ce n’est pas anodin.

    Dans un parcours d’entraîneur, il y a les réussites, qui vous portent aux nues, et il y a les échecs, qui peuvent conduire au licenciement. Comment gérez-vous ces échecs, et comment parvenez-vous à vous protéger ?
    C’est vrai qu’en tant qu’entraîneur on est la tête de gondole du projet, mais même si on a des responsabilités, j’ai toujours considéré que c’était un travail d’équipe. La réussite d’un club ce n’est pas la réussite ou la défaite d’un entraîneur, c’est la réussite de tout le monde, d’un staff, des joueurs, d’une direction, de salariés qui se donnent. Partant de là, il faut avoir beaucoup d’humilité quand on gagne, parce qu’on ne gagne pas tout seul évidemment, mais il faut aussi avoir un peu de recul et de dignité, parce que quand on perd, on ne perd pas tout seul non plus.

    Bordeaux, Guingamp, vous devez souvent travailler avec des groupes démobilisés. Comment procédez-vous pour remettre les équipes sur les rails ?  
    D’abord il faut bien expliquer ce que vous voulez faire, quels sont vos objectifs et les moyens que vous souhaitez mettre en oeuvre pour y parvenir. Il faut également que les objectifs soient conformes avec les statuts et les moyens du club. Ensuite il y a deux leviers. D'une part la gestion du terrain, avec la mise en place d'exercices sur les plans techniques et tactiques pour que vos idées diffusent chez les joueurs. Et d'autre part, il faut agir pour continuer à créer beaucoup de lien avec les joueurs, individuellement et collectivement, pour renforcer le discours général. C’est donc à la fois une mise en place terrain que l’on fait avec le staff, et la gestion humaine d’un effectif. Et généralement quand ces deux choses là sont bien faites, tout se raccorde pour que l’équipe progresse, et les joueurs avec. Il n’y a pas une méthode-clé, mais il faut avoir une méthode, et chaque entraîneur a des spécificités, des idées différentes. Le plus important c’est d’avoir un axe et de s’y tenir.

    Le meilleur souvenir de votre carrière ?
    La victoire en Coupe de France à Guingamp et la victoire en Trophée des Champions à Lille contre le PSG, parce que gagner un Trophée, c’est magique.

    Vous vous êtes éloigné des terrains pendant deux ans, le temps de votre formation. Que vous a apporté ce break sur les plans professionnel et personnel ?
    Pour moi c’était nécessaire parce que quand on est entraîneur on ne fait pas grand-chose à côté, on s’occupe beaucoup des autres... J’avais besoin de me recentrer sur mon métier et ma famille, et de faire autre chose tout simplement. De réfléchir aussi un peu différemment, ce qui implique de prendre du recul. J’ai donc fait une formation de manager à Limoges. Côtoyer des rugbymen, des volleyeurs, des handballeurs m’a apporté des idées et une vision différente, car il y a des idées à prendre partout. J’ai eu le sentiment de m’être enrichi.

    Pendant ces deux années, vous avez également été consultant sur Canal +. Qu’en avez-vous retiré ?
    Ca m'a permis de mieux comprendre les coulisses et les rouages, les attentes des médias, et de garder un contact avec le haut niveau dans un rôle différent. De pouvoir prendre le temps d’observer des équipes et des entraîneurs, ce qui n’est pas forcément le cas quand on entraîne parce que c’est toujours le match d’après qu’on prépare et on n’a pas le temps de se poser. Là, j’ai pu prendre le temps d’analyser et de me nourrir.

    Vous avez choisi de vous installer à Saint-Brieuc et d’y rester. Pour quelles raisons ?
    Je me suis installé à St-Brieuc pendant mes six ans en tant qu’entraîneur à Guingamp. C'est ici que mes enfants ont rencontré leurs copains et copines. Comme on s'était bien sentis à Saint-Brieuc, c'est donc là qu'on a choisi de poser nos valises quand j’ai décidé de faire un break. Les enfants ont retrouvé leurs amis et leurs habitudes, ma femme son travail, et on est tous très heureux de ce choix. Professionnellement je suis amené à rester le plus souvent à Lille, mais être installé ici permet d’avoir une stabilité sur le plan familial, dans un endroit que j’adore.

    Et justement qu’aimez-vous ici, à Saint-Brieuc ?
    J’aime les gens, le rythme aussi. J’ai vécu à Nantes, à Bordeaux... Dans les grandes villes la circulation c’est un vrai souci. Ici on est épargnés, on peut faire les choses facilement, on est en bord de mer, on n’est pas loin de Paris en TGV, on a nos familles pas loin, sur Lorient... La vie ici a beaucoup d’atouts.

    En effet, Saint-Brieuc a beaucoup d’atouts, et on ne le dit pas assez...
    C’est vrai, et le fait de bouger professionnellement me permet d’en prendre un peu plus conscience, par rapport aux gens qui n’en sont pas partis. Bordeaux, Nantes, c’est très bien, mais ici c’est quand même pas mal...

    Il y a une vie en dehors du foot... Quels sont vos autres moteurs et passions ?
    J’aime la musique, le cinéma, les concerts. Et puis plus que tout ma famille, qui me permet de me ressourcer, parce que quand on est entraîneur c’est très chronophage et énergivore. Je souhaite fortement aussi garder un pied dans la vie normale, parce que le métier que je fais n’est pas un métier normal... C’est un métier passionnant, fantastique, mais qui par son fonctionnement vous sort d’une vie classique et normale.

    Vous avez acquis une belle notoriété. Quel rapport entretenez-vous avec elle ?
    Aujourd’hui je le vis bien, mieux qu’à 20 ans car j’étais jeune joueur, leader à Rennes du plus gros club breton et que donc j’ai été très vite exposé. Cette notoriété-là je ne l’ai pas toujours bien acceptée. Je ne la recherche pas du tout, mais aujourd’hui je m’en accommode.