Rencontre

L’itinéraire hors norme d’un ancien cancre

Philippe Saumont
Philippe Saumont avec, à sa gauche, Polichinelle, son « passeport » de globe-trotter. Photo : Thierry Jeandot

Il a vécu mille vies, et bien des honneurs. 32 pays traversés, des prix prestigieux, la direction d’un festival… Mais en 2019, une opération subie au fin fond de la Russie a dû mettre un frein à son hyperactivité. Philippe Saumont n’a pas dit son dernier mot. Rencontre avec ce véritable culbuto, qui se redresse toujours même quand on le renverse.

  • « J’étais un cancre, annonce d’emblée Philippe Saumont. L’école, c’était le bagne. » Et à la maison, à Noisy-le-Sec, c’était pire. Une enfance qu’il a relatée dans l’un de ses spectacles1, dans lequel claquaient ces mots : « La maîtresse a raison, il ne faut pas boire de vin, mon père, il en boit trop. La nuit, j’ai peur. Il me tape et tape ma mère. Il fait vachement froid dans le salon, mais comme ça les étoiles me voient mieux. » 

    Viser les étoiles et se battre pour réussir sa vie, c’était dans son ADN. Pour supporter le chaos, il fait rire ses copains et se réfugie dans l’imaginaire. L’adolescent, qui a un sacré coup de crayon, est reçu au prestigieux concours de l’école Boulle. Son oncle le dissuade : le dessin, ce n’est pas un métier. Alors il deviendra menuisier « peut-être pour changer les fenêtres, pour qu’à la maison on aie moins froid ».

    Avignon, Cuba, Vietnam, Australie...


    1991, il vit désormais à Saint-Brieuc, lorsqu’il découvre une malle qui va changer sa vie, dans le grenier de l’arrière-grand-père de ses trois enfants. « Elle contenait des marionnettes, dont un jeu de Guignol, avec lesquelles il a fait rire les enfants au Passage de la Poste à Saint-Brieuc, entre 1933 et 1955. » Philippe monte son premier castelet de fortune, et se met à jouer pour ses enfants dans son garage. « Je ne savais pas encore que marionnettiste était un métier », poursuit celui qui troquera alors la menuiserie pour devenir marchand de cycles, tout en fabriquant des marionnettes en attendant la clientèle. 

    En 1998, il a 34 ans, tout s’accélère. Exit le vélo, il monte sa compagnie, le théâtre des TaRaBaTes, fonde le festival Marionnet’ic, à Binic, et fait venir de grands marionnettistes pour se former, avec l’appui de René Lafite2. Bosseur acharné, il multiplie les créations, qui le conduiront pendant 20 ans sur les routes de France, d’Avignon à Charleville-Mézières, comme avec La Brouille, qui à ce jour cumule plus de 330 000 spectateurs, ou encore Mon monde à toi, repéré aux Molière dans la catégorie spectacle jeune public. 

    « Tout est toujours possible si on est passionné »


    2008, autre tournant, il se forme auprès du maître italien de Pulcinella, Bruno Leone. Philippe créé alors son Polichinelle, véritable alter ego : même gouaille, même tendance à rire de tout, peut-être pour mieux conjurer les peurs. Avec lui, et souvent ses deux fils, il s’envole aux quatre coins du monde, et remporte une pluie de récompenses, dont la plus prestigieuse, le 1er grand prix du festival international de Hanoï en 2018. 

    Un véritable tourbillon, qui prend brutalement fin en mai 2019. Nous sommes en Sibérie, et Philippe doit subir en urgence une opération du canal lombaire pour éviter la paralysie. Le couperet tombe : il ne pourra probablement plus marcher. Notre marionnettiste est contraint de mettre un terme à sa vie de bohème, mais ne se laisse pas abattre : il embrasse de nouvelles fonctions, en tant que chargé des projets culturels à la Ligue de l'enseignement. 

    Mais son corps lui désobéit trop, et il est contraint de mettre entre parenthèses ses activités professionnelles. Quatre ans après l'accident, l’artiste est toujours debout. Il dessine, rêve, trépigne. « Je me dis qu’il y a pire. J'ai eu une vie atypique et extraordinaire, qui n’aurait pas été possible sans le soutien des collectivités, dont le Département qui a été le premier à me soutenir. Mais c’est pas fini. Tout est toujours possible si on est passionné. »

    1 Je t’aime papa, Mais… Merci d’être mort !, créé en 2017, également disponible en librairies, éditions Bookelis.
    2 Il était alors directeur de Théâtre en Bretagne

     

Article issu du n°
196
de Côtes d’Armor magazine

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