• Histoire

Yvonne Jean-Haffen, une femme moderne

Yvonne Haffen et son mari Edouard Jean (Détail © Collection Musées de Dinan).
Yvonne Haffen et son mari Edouard Jean (Détail © Collection Musées de Dinan).

L'artiste à l'exceptionnelle longévité – elle est morte à 98 ans – a mené sa vie tambour battant. Artiste, femme d'affaires, douée pour les langues, elle a été une infatigable activiste afin d'assurer une postérité à Mathurin Méheut, son mentor.

Est-elle restée dans le sillage de Mathurin Méheut par timidité sur sa propre valeur ou par choix éclairé ? Si la postérité d'Yvonne Jean-Haffen peine à se frayer un chemin dans l'art, sa personnalité a de quoi séduire nos contemporain.es aujourd'hui encore, et plus que jamais sans doute. Disons-le : à sa manière, elle est moderne !

Toute jeune, elle est correspondante de guerre en 1914-1918. Elle entretient des relations épistolaires avec un certain Edouard Jean, polytechnicien et officier du Génie, qu'elle ne connaît pas encore. Elle passe outre l'avis de ses parents et l'épouse. Pis : ils partent en voyage tous les deux avant le mariage. Sur ces questions de mœurs, l'époque n'était guère au badinage.

Une nouvelle fois, elle brave l'avis de ses parents et prend des cours de peinture à l'académie de La Grande chaumière, à Paris.

Mathurin Méheut, une rencontre déterminante

Yvonne Jean-Haffen et Mathurin Méheut à bord de L'Ile-de-France en 1931 (© Collection Musées de Dinan).
Yvonne Jean-Haffen et Mathurin Méheut à bord de L'Ile-de-France en 1931 (© Collection Musées de Dinan).

Vers 1923, sa rencontre avec le peintre lamballais Mathurin Méheut (1882-1958) que lui présente son mari, est déterminante. De son maître en peinture, elle fait aussi son amant. Le secret de cette relation sera préservé jusqu'à ses obsèques en 1993. Jusqu'à leur mort - Méheut en 1958 et Jean en 1960 - les deux hommes resteront amis, partageant un même intérêt pour certains procédés, telles que la gravure sur lino ou la composition de la caséine.

Yvonne Jean-Haffen mène avec énergie sa carrière d'artiste-peintre, de dessinatrice, de graveuse et de céramiste. Maniant de nombreuses techniques, elle réalise des décors pour des paquebots et pour l'Institut de géologie à Rennes, des illustrations pour des livres d'auteurs (Jean de La Varende, Roger Vercel...), des panneaux décoratifs, des motifs sur tissus ; elle dessine du mobilier, collabore avec la faïencerie de Quimper, la Heinz & Cie aux Etats-Unis. Elle a exposé tout au long de sa vie, de 1924 à 1980.

Assurer une postérité à Méheut

Yvonne Jean-Haffen à l'entrée du musée Mathurin-Méheut, place du Martray à Lamballe. Elle le dirigera pendant vingt ans, de sa création en 1972, jusqu'en 1992 (© Collection Musées de Dinan).
Yvonne Jean-Haffen à l'entrée du musée Mathurin-Méheut, place du Martray à Lamballe. Elle le dirigera pendant vingt ans, de sa création en 1972, jusqu'en 1992 (© Collection Musées de Dinan).

A la mort de Méheut, elle se démène comme une diablesse pour assurer une postérité à son mentor. Sous son impulsion et grâce à son entregent, un musée Mathurin-Méheut, installé dans la maison dite du "bourreau" place du Martray, est créé à Lamballe, sa ville natale. Elle en sera la première directrice, et le restera pendant vingt ans, jusqu'à l'âge vénérable de 92 ans. Sans relâche, elle travaillera à rassembler les œuvres du peintre, à les répertorier et à les valoriser.

A la mort de son époux, l'artiste se commue en femme d'affaires. Elle reprend le poste qu'occupait Edouard, la gérance française de la Whiting Fermont, une compagnie américaine d'importation de matériel industriel. Elle estime son anglais hésitant ? Qu'à cela ne tienne, elle reprend des cours à 59 ans, tout en se réservant du temps pour peindre. Elle développera ses activités à la Whiting Fermont avec un certain brio, s'assurera de confortables revenus qu'elle investit dans La Grande vigne, et ne détellera… qu'à 82 ans.

A la fin des années 1960, Dinan noue un jumelage avec Lugo, ville espagnole de Galice. A 73 ans, elle se lance dans l'apprentissage de l'espagnol pour participer aux échanges, "pour ne pas dépendre de traducteurs et dialoguer avec ses amis."

Tout au long de sa longue vie, Yvonne Jean-Haffen a montré un caractère particulièrement résolu, déployé une puissante énergie et une constance de chaque instant dans tous les domaines qu'elle a abordés. Peu soucieuse du qu'en-dira-t-on, elle a su conserver une prudente réserve au bénéfice de ses projets qu'elle mène à terme. Elle finit ses jours sous une pluie d'étoiles.

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